Reportages sur l’Afrique Noire en 1928-1929 : ambition coloniale et exigence humanitaire

MONRIGAL M.-A., Reportages sur l’Afrique Noire en 1928-1929 : ambition coloniale et exigence humanitaire, Maîtrise [Jean-Louis Robert, Antoine Prost], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1989

Dans les années 1927-1928, la propagande coloniale se fait très active dans la grande presse parisienne. Un consensus politique se fait alors sur le credo colonial et sur ses grands principes : la France a une mission coloniale ; les colonies sont rentables économiquement et il faut les mettre en valeur.

Les cinq grands reportages sur l’Afrique Noire Française qui paraissent alors illustrent ce regain d’intérêt pour les colonies et pour le colonialisme. Comment les grands reporters présentent-ils l’Afrique Noire ? Écrivant pour un large public, les reporters mettent d’abord en scène l’Afrique Noire de l’imaginaire, du fantasme et l’Africain, être exotique et inférieur racialement. En cela, ils répondent aux préjugés de leur époque, aux leurs comme à ceux de leurs lecteurs.

Sur la base de ces préjugés communs, le reporter établit ainsi un « réseau de connivences » avec son lecteur. Il peut remplir son rôle proprement informatif et juger des résultats de la mise en valeur en Afrique : la mise en valeur économique, l’éducation, l’hygiène, la mise en place des infrastructures, etc. L’Afrique Noire est présentée par tous comme potentiellement riche, mais sa mise en valeur insuffisante.

Ces journalistes reprennent en chœur ce mot d’ordre de la propagande coloniale : pour mettre en valeur l’Afrique, « il faut faire du Noir ». L’Afrique Noire n’est pas une colonie de peuplement. Mais ne faut-il pas aussi comprendre que la colonisation a dépeuplé l’AEF et l’AOF ?

Les deux journalistes Albert Londres et Robert Poulaine sont particulièrement critiques à cet égard. Tous deux dénoncent le « drame du Congo-Océan ». La construction de ce chemin de fer qui devait relier Brazzaville à l’océan et permettre la mise en valeur de l’AEF est un « effroyable consommateur de vies humaines », pour reprendre l’expression d’André Gide. Londres avance le chiffre de dix-sept mille victimes pour 130 km de voie ferrée. Mettant en cause la crédibilité de la France comme grande puissance coloniale, ce chemin de fer est le miroir de la colonisation en Afrique.

Le recrutement imposé par la construction de ce chemin de fer déclenche une révolte en Oubangui-Chari. En janvier 1929, l’Humanité fait une large part à cet événement, lui reconnaissant les caractères d’un mouvement organisé contre l’impérialisme français. Ce journal est le seul à en parler vraiment.

De ce silence, comme du peu de réactions qu’entraînèrent les reportages de Londres et de Poulaine, nous avons cru avancer cette interprétation sur le monde colonial et le colonialisme en 1928-1929 : le monde colonial est un bloc, refermé sur lui-même, n’acceptant pas les critiques ni les remarques ; défendant principalement l’image du Blanc colon, sa moralité mise en doute, le colonialisme avoue peut-être une certaine faillite de ses grands principes « civilisateurs ».