La Recherche

Le CHS est né au début des années 1960 d’une alliance singulière entre universitaires et syndicalistes. Son épicentre reposait sur l’histoire des organisations syndicales, du mouvement ouvrier, des mouvements sociaux et des partis, associations, coopératives et mutuelles affiliés à l’histoire de la classe ouvrière. La recherche au CHS était alors caractérisée par une forte empreinte de l’histoire militante et engagée. À ce moment de l’histoire, le CHS était appelé « Centre d’histoire du syndicalisme » ; Le dictionnaire Le Maitron, dictionnaire biographique du mouvement ouvrier et la bibliothèque du laboratoire étaient alors le cœur battant de l’unité et de ses projets de recherche.

Au fils des décennies, le laboratoire a profondément changé dans un contexte intellectuel marqué par la remise en cause des grands paradigmes idéologiques dont le marxisme constituait l’une des pierres angulaires. De façon concomitante, le CHS s’est transformé sous le triple effet du renouvellement des objets de recherche, des méthodes et des sources de l’histoire sociale. Cette évolution est aussi liée au passage de témoins entre générations d’historiennes et d’historiens ainsi qu’à l’« UMRisation » du laboratoire dans les années 1990. Le CHS a également vécu des transformations liées à celles plus générales de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. Il a dû s’adapter à de nouvelles contraintes, de nouvelles orientations (le financement de la recherche soumis à des AAP régionaux, nationaux et européens) et de nouveaux dispositifs d’évaluation de la recherche.

Le CHS a naturellement connu un renouvellement de ses chantiers et de ses objets de recherche au cours de ses sept décennies d’existence. D’une histoire du syndicalisme et de la classe ouvrière, le CHS est passé, au tournant des années 1990-2000, à une histoire sociale aux thématiques élargies, reposant sur trois équipes et trois pôles structurants, dénommés en 2012 : « Histoire sociale du politique », « Représentations : pratiques, systèmes, relations » et « Les territoires de la ville contemporaine ».

En 2017, une nouvelle orientation scientifique, décrite dans la partie « bilan » de ce rapport, fut décidée avec un objectif : abandonner une structuration en pôles distincts au profit d’une structuration en une seule équipe dont les membres inscriraient leurs recherches dans des thématiques communes et transversales. L’objectif suivi a, nous semble-t-il, porté ses fruits puisque son organisation en une seule équipe a été maintenue malgré l’augmentation et le renouvellement des membres du CHS. Les quatre axes thématiques du quadriennal de 2017 – AXE 1 : Pouvoir, contre-pouvoirs, engagements et conflits, AXE 2 : Environnement, villes et sociétés urbaines, AXE 3 : Travail, santé et Loisirs, AXE 4 : Sociétés culturelles, média(tisa)tions, diffusions – ont été refondés autour de trois nouvelles thématiques qui reposent aujourd’hui encore sur les trois matrices scientifiques du CHS : l’histoire politique du social, l’histoire urbaine du social, l’histoire culturelle du social.

1ere thématique. Histoire sociale du politique et de l’action publique

Héritières de l’histoire du syndicalisme et des mouvements sociaux, thématique à l’origine de la création du laboratoire, les recherches menées au sein du CHS interrogent plus largement une multitude d’objets à la lumière d’une histoire sociale attentive aux acteurs collectifs et individuels, à leurs interactions sur différentes scènes sociales et politiques, aux pratiques et aux dynamiques des mobilisations comme de l’action publique, aux jeux d’échelles, aux perspectives comparatives ainsi qu’aux circulations. En dialogue avec l’ensemble des sciences sociales, notamment la sociologie et la science politique, cette démarche s’appuie sur des collaborations nourries avec diverses institutions ou organisations (syndicats, collectivités territoriales, organisations internationales, etc.). 

2e thématique. Histoire sociale des populations

Les travaux menés au CHS s’ancrent également dans une démarche d’histoire sociale des populations, attentive aux trajectoires individuelles et aux expériences de vie, mais aussi aux effets d’ensemble et à la position des groupes dans l’espace social. Cette histoire se situe au croisement d’une histoire économique et sociale, politique et sanitaire des populations. Il s’agit d’observer comment différents groupes sociaux façonnent les sociétés contemporaines, en prêtant attention aux pratiques collectives et aux stratégies individuelles, et en intégrant les diverses dynamiques de l’histoire des populations : migrations, mobilités et ancrage territorial, inégalités sociales et sanitaires, grandes catégories de différenciation des populations (genre, ethnicités, âges de la vie, etc.). Les membres du CHS prêtent une grande attention aux catégories administratives utilisées dans les politiques publiques, à leur incidence sur les trajectoires sociales et aux relations même entre populations et institutions.

3e thématique. Histoire sociale des pratiques culturelles, des productions intellectuelles et des savoirs

Cette démarche d’histoire sociale, attentive aux représentations incarnées dans des collectifs, des objets et des pratiques, en dialogue avec les cultural studies, et misant sur la pluridisciplinarité, s’est développée depuis les années 1980 et se poursuit aujourd’hui sur de nouvelles dynamiques :

– l’attention accordée aux processus de création et de production portant sur des objets culturels variés, y compris les plus faiblement légitimés ; 

– l’intérêt porté aux circulations,  médiations, diffusions et transmissions des créations, des pratiques artistiques, des productions intellectuelles et des savoirs ; 

– la volonté de donner de l’importance aux usages et appropriations ainsi qu’aux imaginaires.

Le CHS est ainsi en interaction avec l’Association pour le développement de l’histoire culturelle et l’International Society for Cultural History. S’il n’est pas le seul à développer de telles réflexions, les travaux qui en sont issus présentent la caractéristique d’insister sur les acteurs et les actrices des processus de création, de médiation et de diffusion, et approfondissent l’étude de thématiques et d’objets originaux qui forgent le domaine de spécialité de plusieurs chercheurs et chercheuses du CHS.

Ces trois thématiques sont transversales au sens où les membres du laboratoire peuvent inscrire leurs activités dans deux ou trois d’entre elles. Elles nous semblent bien refléter les trois matrices historiques du CHS, l’histoire politique du social, l’histoire urbaine du social, l’histoire culturelle du social, qui identifient les activités scientifiques du CHS.

MÉTHODES ET SOURCES

L’intégration de nouveaux objets de recherche et le renouvellement des approches historiennes qui ont guidé les membres du CHS dans l’élaboration de leur trajectoire scientifique et de leur prochain quadriennal s’appuient sur des méthodes et des sources qui caractérisent la pratique de l’histoire sociale au sein du laboratoire :

  • les approches biographiques et prosopographiques,
  • les méthodes quantitatives,
  • la primauté de la source : archives écrites, orales, audiovisuelles,
  • l’expertise, les interventions sociales et le recours à l’histoire publique,
  • l’histoire culturelle du social : production/médiation/réception.

Approches biographiques et prosopographiques

Loin d’une étude biographique souvent hagiographique des « grands » de ce monde, et s’intéressant, à la manière de Carlo Ginzburg aux gens qui peuvent paraître « ordinaires » [Le fromage et les vers], les membres du CHS travaillent à déconstruire « l’illusion biographique » qui ferait croire, comme l’a démontré Pierre Bourdieu à un récit de vie linéaire et prévisible. Que les membres du CHS travaillent sur des professionnels du monde social, politique, sportif ou culturel ou encore de la santé, qu’ils travaillent sur l’histoire des élus, des danseurs, des enfants, des artistes ou des habitants de banlieues, tous ont en commun d’appréhender la vie des individus par le prisme des processus sociaux multiscalaires qui bouleversent les trajectoires tant collectives qu’individuelles. Pour ce faire, ils analysent les parcours de vie, la constitution de réseaux et les effets relationnels entre acteurs (processus de domination, de transmission, de solidarité, etc.) en menant un travail d’analyse de corpus d’archives, en conduisant des entretiens, en portant une réflexion sur des trajectoires individuelles ou des trajectoires de cohortes délimitées (prosopographie).

Méthodes quantitatives

Fidèles à la tradition des Annales, qui a donné lieu à un essor de l’anthropologie historique mais aussi de l’histoire quantitative, les travaux menés par les membres du CHS empruntent pour beaucoup aux méthodes quantitatives. Ce souci de la mesure anime notamment les travaux menés en histoire sociale des populations, qui supposent a minima de dénombrer pour mettre au jour des effets d’ensemble (projet de recherche sur les recensements du département de la Seine de 1954, sur les trajectoires scolaires, sur les mobilités des étudiants africains, etc..). Au sein du laboratoire, l’histoire quantitative s’est aussi ouverte depuis longtemps à d’autres objets. Les travaux récents ou en cours menés au CHS ont ainsi appliqué le principe de mise en série et en nombres à des objets textuels, comme les accords d’entreprise négociés sur l’égalité professionnelle. La recherche au CHS repose également sur des analyses quantitatives et l’usage d’outils de traitement automatisé à propos de documents audiovisuels ou d’objets imprimés.

Archives écrites, orales, audiovisuelles

Les membres du CHS travaillent toutes et tous sur d’importants corpus d’archives en France et à l’étranger, qu’il s’agisse d’archives papier, photographiques ou audiovisuelles. Ils ont également amplement investi la démarche de l’histoire orale en menant des entretiens avec les actrices et acteurs liés à leurs travaux. En tant que laboratoire d’histoire sociale ayant pour vocation de mettre en perspective l’histoire « par le bas/d’en bas », cet usage des archives permet de saisir les expériences de celles et ceux qui ont participé à l’histoire, sans forcément laisser de traces écrites ou encore d’apporter un contrepoint à des archives écrites qu’ils auraient pu produire. Par ailleurs, l’histoire orale génère un regard distancié du passé et une réflexion théorique sur la mémoire et l’intersubjectivité. De fait, en menant ces entretiens, les membres du CHS produisent de nouvelles sources aussi bien sonores que visuelles. Dans le cadre du Plan national pour la science ouverte (présenté en 2018 par le MESR), préconisant la gestion et la diffusion des données de la recherche, le laboratoire a déjà entamé et poursuivra de manière plus intense dans les années à venir le projet de création d’une collection CHS d’archives numériques qui pourra intégrer le catalogue commun de l’Humathèque du campus Condorcet. Parallèlement, le personnel d’aide à la recherche assurera la sensibilisation et la mise en place de formations à l’utilisation des outils HumaNum : d’une part Nakala pour le stockage, la sauvegarde et l’indexation des données numériques (numérisées ou nativement numériques), orales et audiovisuelles, d’autre part Omeka pour l’exposition et la diffusion de ces données. Cette sensibilisation à la science ouverte sera renforcée par d’autres formations au dépôt des publications dans HAL en lien avec l’Humathèque du campus Condorcet et l’Université Paris 1.

Expertise, intervention sociale et histoire publique

L’importance accordée au rôle de l’historien en dehors de l’arène académique se manifeste de manière concrète par les activités d’expertise, d’intervention sociale et en histoire publique menées par les membres du CHS de manière tout à fait intrinsèque à leurs recherches. Sollicités par les institutions publiques et les organisations sociales, ils interviennent pour mettre à disposition leurs savoirs en histoire ou sur les modalités d’accès aux archives et à leur utilisation à des fins d’histoire publique (sur la guerre d’Algérie par exemple). Ils participent également à des événements culturels organisés par des institutions locales (municipalités, départements, intercommunalités) ou culturelles et patrimoniales (musées, INA, etc.), voire s’investissent dans la conception d’expositions permanentes de musées (Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Centre historique minier Lewarde) et centres d’archives (Archives nationales entre autres) ou encore sont à l’initiative de nouveaux lieux patrimoniaux (projet du Musée du logement populaire). Travaillant sur des sources inédites, les membres du CHS sont engagés dans la réflexion autour de la conservation de patrimoines non-européens en partenariat avec des institutions étatiques et supra-étatiques (concernant le devenir de films africains par exemple). Enfin, les travaux menés au sein du CHS conduisent les chercheurs et enseignants-chercheurs mais également les ingénieurs tout autant que les étudiants en master, doctorants et post-doctorants à s’investir dans des projets visant à intervenir directement dans la société, avec par exemple des associations de prise en charge de mineurs étrangers isolés, des associations d’habitants ou encore avec des enseignants de l’enseignement secondaire.

Histoire culturelle du social

Un regard culturel porté sur le social conduit à prendre en compte deux orientations majeures dans les travaux des membres du CHS : d’un côté l’importance du triptyque production/médiation/réception dans l’étude de leurs objets ; de l’autre, outre une attention aux dimensions économique, politique, sociale, technique, une  réflexion sur la dimension symbolique des phénomènes sociaux. Il s’agit de s’intéresser aux enjeux de classement et de qualification comme aux systèmes de normes, de valeurs et aux questions de sens. Cette démarche invite à confronter des discours, des représentations, des imaginaires à des pratiques, des objets, des incarnations concrètes. 

OBJETS DE RECHERCHE

Dix objets de recherche qui reflètent les productions scientifiques du laboratoire et ses nouveaux chantiers sont transverses aux trois thématiques du laboratoire et reposent sur les projets de recherche de ses membres :

  • Mobilisations et engagements 
  • Corps, cultures somatiques, cultures sportives
  • Guerres, génocides, conflits
  • Travail, protection sociale et santé
  • Migration, mobilités, villes et environnement
  • Groupes sociaux, inégalités et trajectoires
  • Créations artistiques, pratiques culturelles, productions intellectuelles et savoirs
  • Imaginaires, mémoires, cultures populaires 
  • Fêtes, loisirs, spectacles 
  • Sociétés coloniales et post-coloniales