Mémoires de guerre pendant la guerre du Golf

IZEMBART Marianne, Mémoires de guerre pendant la guerre du Golf, Maîtrise [Antoine Prost, Danièle Tartakowsky], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1993, 143 p.

La guerre du Golfe donne lieu, d’août 1990 à février 1991, à de nombreuses comparaisons avec les guerres du XXe siècle dans lesquelles la France s’est engagée. Ces références au passé, leurs emplois, leurs fonctions, leurs relations entre elles et avec le présent, constituent un objet d’étude à part entière dans la lecture de la presse.

Ces références employées dans de nombreuses analyses et discours politiques révèlent trois emplois distincts du passé. Le premier, analogique, constitue une méthode explicite de prévision de l’événement. À l’aide de schémas historiques choisis, le passé permet de donner une certaine vision de la crise, qui reflète moins l’événement passé que sa traduction contemporaine : la comparaison avec la Seconde Guerre mondiale — la plus utilisée — impose la notion de guerre juste, la volonté d’agir vite, et justifie l’intervention. La référence à la Première Guerre mondiale — bien plus discrète — impose le thème de la guerre absurde ; la crise de Suez et la guerre d’Algérie permettent enfin de dénoncer l’ingérence de la France dans une crise jugée locale. Une ligne de fracture apparaît entre partisans de l’intervention et opposants, selon les références employées : le passé définit alors l’événement et la place dans une perspective déjà historique. Mais il intervient aussi dans une dimension pédagogique, qui met en valeur soit l’exemplarité d’une expérience (avoir été résistant ou anti-munichois), soit la force de l’héritage politique (revendiquer la leçon de Munich). Enfin, le passé est employé comme anathème, comme injure référentielle, il permet de condamner l’adversaire politique en condamnant en même temps le passé.

Ces références apparaissent, comme un mode de discours politique à part entière, comme le support d’une communication détournée sur l’événement. Elles traduisent, en réactivant et en réalimentant nos mythes politiques contemporains (le symbole de Munich, la figure de Hitler…), la dimension affective de cet événement, ressenti avec un rare sentiment de proximité. Elles offrent également une vision globale et structurée d’une guerre complexe, devenue ainsi facilement saisissable grâce à leur puissance mobilisatrice et explicative. Malgré certaines limites interprétatives liées à la fois à la nature du corpus et à l’impossibilité de donner une dimension collective à autant d’interventions individuelles, nous pouvons affirmer que ces mémoires des guerres traduisent, consciemment ou non, nos propres interrogations face à l’accélération de l’histoire.