Lip, la construction d’un mythe

CASSOU Saoura, Lip, la construction d’un mythe, maîtrise [Jean-Louis Robert, Franck Georgi], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 252 p.

D’avril 1973 à janvier 1974, le personnel de l’entreprise horlogère Lip de Besançon fut en grève afin de lutter contre le démantèlement de l’entreprise et les licenciements prévus par la direction. Cette grève pour I’emploi eut un retentissement hors du commun. Celui-ci s’explique en partie par la volonté des grévistes de faire connaitre leur conflit à l’extérieur de l’entreprise. Ils cherchèrent ainsi par de nombreux moyens à populariser leur lutte, leur but étant que le soutien de la population leur permette d’être en position favorable dans le rapport de force face aux pouvoirs publics. Ils menèrent dans cet objectif une action originale, à savoir la remise en marche de la production et la vente des montres ainsi fabriquées. Ouverts sur l’extérieur, ils ont accepté l’aide de personnes qui ne faisaient pas partie du personnel de l’entreprise et ont eu accès à la fabrication d’outils, notamment un journal, un film et des cassettes audio. Ceux-ci ont donné aux Lip la possibilité d’intensifier leur popularisation et ils ont véhiculé des images de la grève. Les associations des différentes images ont permis au conflit d’acquérir une dimension mythique. Il a en effet incarné des mythes préexistants, comme l’unité et l’autogestion. Par ailleurs, en mobilisant l’imaginaire de la population dans les domaines de l’organisation quotidienne, du politique et de l’humain, les images ont composé une représentation de la vie en société dans son ensemble. Enfin, le conflit évoquait d’une part des perspectives de changement des modes de lutte, de bouleversement de la société, d’évolution de l’homme, tandis que d’autre part apparaissaient des images de stabilité, de juste mesure et d’ordre. Tout en présentant une image rassurante, la grève a libéré des énergies, mis en marche des forces nouvelles qui ont donné envie d’agir. La puissance des espoirs qu’elle a éveillés, des rêves qu’elle a fait entrevoir, ont inscrit durablement le souvenir du conflit dans les mémoires. Apportant des réponses aux angoisses et aspirations du contexte de l’après Mai 68 et de la fin des Trente Glorieuses, le conflit Lip été un mythe fondateur et mobilisateur.