L’identité culturelle du rugby à travers son organe de référence, Midi-Olympique (1932-1978)

SEMPIANA Thomas, L’identité culturelle du rugby à travers son organe de référence, Midi-Olympique (1932-1978), Maîtrise [Pascal Ory, Michel Dreyfus], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 232 p.

Né en Angleterre sur la pelouse du Collège de Rugby en 1823, le rugby, ce « jeu de voyous pratiqué par des gentlemen », a traversé la Manche pour s’établir — grâce à des émigrés britanniques — au Havre, à Paris puis à Bordeaux, avant de conquérir ce qui sera son fief, l’Occitanie. La pénétration de la culture populaire des régions du Midi de la France est telle que la géographie du rugby se confond avec sa culture, qui s’exprime dans l’Ovalie. À travers l’organe de référence du rugby, Midi-Olympique, cette étude s’attache à reconstituer la culture du rugby, depuis les années 1930 jusqu’à la fin des années 1970, et à en mesurer l’évolution.

L’esprit du rugby est assimilé par la culture populaire, essentiellement rurale, qui devient la culture dominante et fixe Tidentité du rugby dès le milieu des années 1920 : le rugby devient un moyen d’expression culturel. Le jeu se charge des valeurs dominantes des terroirs, accordant à la solidarité virile une importance capitale. Ainsi, la culture du rugby est enracinée dans les différentes régions occitanes, et endogame. Par ailleurs, les rivalités de clocher sont institutionnalisées par le championnat, qui contribue à modifier le statut amateur originel de ce sport. En effet, la popularisation du jeu exacerbe les vanités locales et facilite à la fois la montée de la violence et la montée d’une certaine forme de professionnalisme : l’« amateurisme marron ». Les clubs se structurant, l’investissement des notables locaux dans le rugby, qui fait figure de totem local, contribuent à dévoyer quelque peu l’amateurisme : l’heure est au débauchage de joueurs par l’attribution d’un emploi.

Alors même qu’elle est issue de pratiques spontanées, l’évolution de la culture du rugby tient à son encadrement : le rugby est lié à l’économie locale, et la généralisation des pratiques de rétributions contribue à la naissance d’un monde clos, codifié, s’appuyant sur l’entraide. La permanence du statut amateur conditionne la formation d’un lobby hypertrophié, d’une véritable Famille, et justifie une culture de la fermeture. Dès la fin des années 1950, le rugby permet au joueur d’obtenir une promotion sociale en fonction de la valeur sportive qu’on lui attribue. On est passé d’une expression spontanée et valorisée des vertus du terroir, à une discipline sportive rationalisée. Désormais, le rugby de haut niveau se distingue au rugby de pratique, qui devient le conservatoire des racines du jeu. Le rugby de haut niveau relayé sur ce point par les médias contribue à affaiblir la culture rugbystique traditionnelle. La télévision en particulier contribue au développement d’un public profane, mais plus nombreux que celui d’Ovalie. A mesure que le rugby devient un produit sportif dans les années 1970, il s’éloigne de ses racines. La culture constituée dans les années 1930 est reléguée au rang de folklore. La famille, si soudée au temps de l’amateurisme déguisé, la solidarité, la sociabilité spécifique du rugby en dehors du terrain, perdent de leur raison d’être, avec l’évolution vers le professionnalisme.