Les syndicalistes algériens de la régie Renault à Billancourt de 1954 à 1962

CHALANE Hakim, Les syndicalistes algériens de la régie Renault à Billancourt de 1954 à 1962, Maîtrise [Antoine Prost, Noëlle Gérôme], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1996, 165 p.

La Société Anonyme des Usines Renault, nationalisée le 16 janvier 1945 par ordonnance, devient l’entreprise pilote dans les nouveaux rapports sociaux que l’État veut voir se mettre en place à la Libération. La relative liberté que connaissent les syndicats, et plus particulièrement la CGT qui y est majoritaire, et à travers elle le PCF par l’influente section Renault du parti, donne à cette entreprise un rôle majeur au niveau des revendications sociales. Dès 1914 et jusqu’à 1929, l’essentiel de l’immigration accueillie à la Régie est d’origine nord-africaine. Mais ce n’est que durant les années 1950, et parallèlement à l’accroissement de l’émigration algérienne entre 1947 et 1955, que l’effectif des ouvriers algériens progresse chez Renault. Les syndicalistes algériens ne se présentent pas en un seul bloc, et l’hégémonie du Mouvement pour le triomphe des libertés, créé en 1947 et divisé en deux courants, est remise en cause par l’apparition du Front de libération nationale avec le déclenchement de la guerre d’Algérie. La minorité communiste des Algériens adhérents au PCF constitue la troisième composante. En 1954, on retrouve par conséquent trois tendances les messalistes groupés au sein du nouveau parti de Messali Hadj (le Mouvement national algérien créé le 1er décembre 1954), ceux qui s’opposent à son hégémonie (les centralistes qui sont minoritaires en France et ont rapidement adhéré au FLN) et les communistes.

À travers l’étude des syndicalistes algériens de la CGT travaillant à la Régie Renault à Billancourt, nous avons cherché à comprendre comment ils ont affronté leur double identité, de militants nationalistes et de militants syndicaux, pendant la guerre d’Algérie. Quelles transformations la guerre a-t-elle opérées dans leurs discours et leur rapport au syndicalisme.

La guerre opère une redistribution des influences et des responsabilités à la faveur du FLN qui triomphe du MNA, pour le contrôle de l’émigration algérienne et pour la reconnaissance de son hégémonie dans la lutte pour l’indépendance. Ces règlements de compte se retrouvent de la Régie avec l’assassinat, le 24 septembre 1957, du responsable du syndicat indépendant messaliste (l’Union des syndicats des travailleurs algériens fondée le 25 décembre 1955), en la personne de Mellouli Saïd. En octobre, avec l’élimination d’une partie des cadres de l’USTA, les militants messalistes rejoignent plus ou moins volontairement l’Amicale générale des travailleurs algériens, émanation du FLN et représentation de l’Union générale des travailleurs algériens fondée le 24 février 1956. Organisé d’abord en cellule, le FLN à la Régie se structure avec la création de l’Amicale en février 1957 en Conseil d’entreprise, et s’assure le contrôle de syndiqués algériens, mettant fin au pluralisme des tendances. Les communistes algériens rejoignent eux aussi le FLN, suite au vote des pouvoirs spéciaux par les députés communistes le 12 mars 1956. Dès lors, le discours de ces hommes qui continuent à militer à la CGT, conserve un contenu social, mais devient plus revendicatif et agressif en ce qui concerne l’indépendance de l’Algérie. Le rajeunissement des dirigeants, la montée de nouvelles figures aux postes de responsabilité syndicale illustrent ce constat. Le FLN opère dans ce milieu une recomposition ou il n’y a plus de place pour le pluralisme. Le syndicalisme n’est plus que le rouage ouvrier de l’organisation politico-administrative du FLN. Il n’a pas vocation à inspirer la révolution, il doit lui servir de relais pour rechercher des soutiens auprès des organisations ouvrières, les informer, et former les futurs cadres du jeune syndicalisme algérien qui doit se mettre en place à l’indépendance.