FORTIER Bruno, Le genre gangster dans le cinéma français des années 1960, Maîtrise [Jean-Louis Robert], Univ. Paris 1 CHS, 2000, 117 p.
Les années 1960 sont les témoins d’une mutation de la France, aussi bien politique que sociale et culturelle. Dans ce contexte de modification hexagonale, le cinéma opère, lui aussi, sa reconstruction dans une optique de profit rapide et de consommation de masse. En contrepartie d’un processus d’oubli d’un passé trouble et d’une actualité politique brûlante, les spectateurs (confortés par les pressions étatiques) se confinent dans une volonté générale de divertissement, dont le film de gangster est l’archétype. Issu d’une fascination, née de l’après-guerre, pour la culture américaine et, francisé par l’apport de la Série Noire, ce genre satisfait une majorité du public, par la standardisation de ses formes structurelles et des situations exposées. Levant le voile sur les mystères du crime, le truand est porté aux nues, autant par le rêve que son ascension sociale transmet, que par le respect inspiré par certaines valeurs propres à ce microcosme. Ainsi, ce genre ancré dans un présent criminel gratté de ses aspérités politiques semble confirmer l’état d’amnésie ambiante dans lequel la France s’est plongée.
Cependant, associé à une certaine forme de bonhommie du truand, ce genre propose une noirceur ambiante dont découle une idéologie inhérente aux auteurs et acteurs de ces films, qui propulse les gangsters dans un mépris, aussi bien des masses, que de son élite et de ses représentants. Elle implique également une tragédisation du malfrat, qui, à l’image des héros antiques, se voit condamné à ne jamais triompher. Par le rejet et l’irrévérence des gangsters pour les institutions étatiques, ce genre affirme la possibilité d’une évocation politique. Ainsi, bien que la notion d’intentionnalité de ses protagonistes ne puisse être formellement démontrée, ces films portent à l’écran les signes de conflits issus de la décolonisation et du passé obscur de l’Occupation. Si la guerre d’Indochine est posée comme formatrice de ces criminels, c’est à travers l’évocation de pratiques tortionnaires que ces films démystifient l’image du gangster résistant, mais aussi témoignent de la crise algérienne. Enfin, une réalité en entraînant une autre, par sa nécessité du cadre quotidien et sous l’impulsion d’une nouvelle génération de criminels, contigüe à un phénomène national, ces films, s’ils témoignent de la phase croissante de la banlieue comme cadre nouveau du crime, affirment l’inquiétude d’une société française face à une jeunesse, dont les codes, les modes et les aspirations sont en rupture avec l’ancienne école.