La Sorbonne avant Mai 68 : chronique de la crise universitaire des années 60 à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris

LEGOIS Jean-Philippe, La Sorbonne avant Mai 68 : chronique de la crise universitaire des années 60 à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris, Maîtrise [Antoine Prost], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1993, 319 p.

Aux sources de cette recherche se trouve la volonté de resituer le mouvement de Mai 68 dans la durée. Il s’agit, à travers une étude de cas, de mieux en cerner les causes dans le secteur d’où partit le mouvement : le système universitaire. Et nous avons choisi un des symboles du Mai universitaire : la Sorbonne, côté Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris. Deux phénomènes s’y alimentent l’un l’autre : le développement d’une crise profonde — morphologique, pédagogique, institutionnelle et morale — du système universitaire et l’exacerbation de contradictions sociales et politiques au sein de la communauté sorbonnarde.

Nous avons inventorié les grandes caractéristiques nationales et locales de la crise d’adaptation du système universitaire : maintien des finalités, contenus et méthodes d’enseignement hérités du XIXe, atténuation purement symbolique de la mainmise des Professeurs – enseignants Docteurs ès Lettres – sur les structures de décision de la Faculté alors que la croissance des effectifs étudiants est de plus en plus importante.

Nous avons ensuite étudié deux problèmes qui ont contribué au développement de la crise universitaire. L’hypertrophie morphologique de la Sorbonne-Lettres qui met en évidence la pénurie en locaux et en personnels et l’introduction d’une réforme pédagogique concernant seulement les deux premiers cycles : la réforme Fouchet. Celle-ci, qui n’est pas assortie des moyens nécessaires à sa réalisation et qui laisse de côté d’autres problèmes encore plus explosifs que la participation étudiante ou la sélection, ne fait qu’aggraver la situation.

Nous avons pu en faire une analyse assez précise grâce aux archives administratives du Rectorat de Paris et de l’ancienne Faculté des Lettres, même si ces dernières sont lacunaires. Ces sources ont également permis de mettre à jour une autre dimension de la crise universitaire, à savoir la crise interne du groupe dominant de la Faculté — les Professeurs ou homines academici — divisé sur le système des examens, la sélection et la participation étudiante. Mais ces archives ne pouvaient guère en dire plus et si elles laissent apparaître des conditions sociales et institutionnelles propices à une crise sociale, nous ne savons encore que trop peu de choses sur l’état des forces sociales et militantes de la Sorbonne-Lettres et leur capacité à animer un mouvement social, voire un contre-pouvoir universitaire. Les archives syndicales fournissent, à ce problème de nombreux éléments de réponse.

La communauté facultaire — on a pu le pressentir lors de l’étude du groupe dominant — laisse place à un mouvement social qui tend à s’opposer à ce dernier et au ministère de l’Éducation nationale. Ce mouvement social rassemble les divers exclus du pouvoir universitaire : enseignants non-Professeurs, non-enseignants et étudiants. Certes celui-ci, comparé au seul mouvement étudiant, reste sur la défensive que ce soit sur les fronts de la fonction publique, des moyens ou de la réforme Fouchet, mais il existe et mobilise réellement les milieux sorbonnards.

Sur le plan politique, la Sorbonne est un lieu où les forces nouvelles, ou tout au moins critiques – communistes critiques, PSU, CLER, JCR, UJC-ml, et gauche syndicale – sont importantes et dépassent les forces communistes traditionnelles dans le milieu étudiant, mais aussi enseignant. Ce phénomène s’observe notamment dans les formes et contenus de la mobilisation contre la guerre du Viêtnam.

Enfin, ce dernier niveau d’analyse ayant été dégagé à travers l’étude des archives de la FGEL, nous avons pu observer que le mouvement étudiant, à la pointe de toutes ces mobilisations sociales et politiques, développe de réelles pratiques alternatives aussi bien au niveau pédagogique que dans ses modes de fonctionnement, d’expression et de débat.

Non seulement la crise universitaire des années 60 est profonde à la Sorbonne-Lettres, mais elle se double d’un mouvement social relativement puissant et dynamique dans lequel le mouvement étudiant à un rôle catalyseur. Autant de conclusions à soumettre à l’épreuve d’autres études de cas.