La représentation du mouvement social des infirmières de 1988 et 1991 dans les journaux télévisés de TF1 et d’Antenne 2

VAUTROT Caroline, La représentation du mouvement social des infirmières de 1988 et 1991 dans les journaux télévisés de TF1 et d’Antenne 2, Maîtrise [Christian Chevandier, Michèle Lagny], Univ. Paris 1 CHS et Paris 3, 2000, 169 p.

Lorsque les infirmières entrent en grève en 1988 puis en 1991, elles expriment des revendications concernant la reconnaissance des compétences techniques et la revalorisation sociale et économique de leur profession. Ces demandes fondamentales sont liées plus largement à la dénonciation de l’image traditionnelle de l’infirmière, désormais dépassée, mais persistante, celle d’une jeune femme dévouée, tout entière consacrée au malade et désintéressée. Comme dans toute protestation, l’image de la profession et la redéfinition de son identité sociale tiennent une place centrale. Et lorsque l’on évoque les termes de représentation professionnelle ou d’image sociale, il est clair que la télévision, la plus puissante médiation collective d’aujourd’hui, et plus précisément les journaux télévisés y sont inévitablement associés. Ces rendez-vous quotidiens ont pour mission de séduire et distraire, instruire au passage, mais surtout capter et retenir le téléspectateur. C’est pourquoi de véritables constructions de l’information sont proposées à travers différentes mises en forme linguistiques et visuelles porteuses de significations culturelles intéressantes à étudier dans le cadre d’un mouvement qui tend justement à faire reconnaître et instituer des modifications sociales.

À la croisée de l’histoire culturelle, « l’histoire sociale des représentations » selon Pascal Ory, de la sociologie et de l’analyse audiovisuelle (ce que l’image donne à voir et à comprendre), ce travail se propose donc d’examiner le traitement médiatique du mouvement social des infirmières de 1988 et 1991 à travers les journaux télévisés des deux chaînes françaises TF1 et Antenne 2. Pour ce faire, un rappel des principales caractéristiques du malaise infirmier s’impose afin d’appréhender pleinement la construction télévisuelle proprement dite et avant de laisser place enfin à l’image de la profession qui s’en dégage.

Au cours du conflit des infirmières dont la représentation publique a été explicitement fabriquée pour intéresser les médias, on assiste d’une part à de véritables mises en scène revendicatives de leur vécu, de leur condition de travail et de leur relation à la profession. Très élaborées, elles sont destinées à produire une image valorisante du groupe. D’autre part, les répercussions évidentes du journal sur le mouvement influencent la perception de celui-ci. Parallèlement, l’analyse du commentaire, de l’image et du rapport entre les deux souligne la prédominance du faire-voir sur le faire-comprendre et le faire-penser. Les journalistes se trouvent tiraillés entre deux logiques potentiellement antithétiques : une visée sérieuse d’information et une visée de captation, c’est-à-dire intéresser le public en ayant recours à des stratégies de séduction. Cette façon de mettre les images au service des propos du journaliste, au lieu de rédiger un commentaire explicatif du contenu de l’image, permet d’imposer aux téléspectateurs une opinion sur le fait à la place d’une information sur ce qui s’est réellement produit. De plus, la mise en images de la parole des protagonistes est réalisée en fonction du jugement que les journalistes portent sur ce que ces premiers sont et font. La manière de rendre compte du malaise infirmier nous apprend alors peut-être autant sur le milieu journalistique lui-même que sur le groupe dont il parle.

Enfin, dans les reportages des journaux télévisés, l’infirmière passe progressivement de l’image d’icône issue de l’héritage du passé au statut de femme moderne, travaillant pour vivre et non l’inverse, engagée sur la scène sociale et distinguant vie privée et vie professionnelle par définition confondue chez la religieuse. Elle incarne dès lors une certaine vision de la société qui mettrait l’humain au cœur de celle-ci. Cependant, le danger ne serait-il pas de retomber dans un autre cliché, même si celui-ci est plus valorisant ? Le stéréotype de la jeune femme à la morale irréprochable, défendant des valeurs appréciées, succèderait à celui de la religieuse dévouée. Deux caricatures qui ne seraient finalement pas si éloignées l’une de l’autre.