La montagne éducatrice. Politique et représentations de la montagne sous Vichy

TRAVERS Alice, La montagne éducatrice. Politique et représentations de la montagne sous Vichy, Maîtrise [Pascal Ory], Univ. Paris 1 CHS, 2000, 221 p. + 44 p. d’annexes

La défaite de juin 1940 et la création de l’État français voient la naissance d’une véritable politique de la montagne, menée par le Commissariat général à l’Éducation générale et aux Sports (CGEGS). La lecture des publications officielles du Commissariat, Éducation générale et Sports, puis Stades, ainsi que l’étude des archives de la Direction de l’Équipement sportif permettent de comprendre le rôle joué par cette politique de la montagne dans le dessein culturel vichyste : c’est parce que la montagne est éducatrice, qu’elle détient une place cruciale dans la doctrine de régénération nationale de l’État français.

Le CGEGS prend très rapidement conscience des avantages que présente la montagne, et des possibilités d’éducation qu’offre la pratique de sports comme le ski et l’alpinisme. Le préalable nécessaire à l’encouragement des activités alpines est l’équipement de la montagne, tâche à laquelle s’attelle dès sa création la Direction de l’Équipement sportif, dirigée de 1940 à 1942, par Georges Glasser, puis, jusqu’à la fin de la guerre, par Jean Couteaud. Ces deux hommes vont encourager la mise sur pied d’un vaste programme d’équipement de la montagne et créer, à cet effet, un nouvel organisme placé sous leur tutelle : le Secrétariat technique de la Montagne, dirigé par Louis Macaigne, qui prend, à partir de 1942, le nom de Service de l’Équipement sportif de la Montagne, dirigé par Gérard Blachère.

La politique de la montagne comprend trois volets. Le premier est la promotion de la montagne et des sports alpins, activement menée par le Service lnformation ­propagande, en collaboration avec la Direction de l’Équipement sportif, qui utilise différents moyens (presse, cinéma, exposition). Le deuxième est la structuration et la législation des activités alpines, qui uniformise et nationalise les professions alpines et l’enseignement. Enfin, le dernier volet de cette politique est l’encouragement à la pratique des sports de montagne par les jeunes, avec la mise en place d’une politique du ski scolaire, l’encouragement des camps d’alpinisme organisés par les associations alpines ou par des administrations étatiques.

Que la montagne soit devenue une affaire d’État s’explique par la « rencontre » entre Vichy et la montagne, rencontre dont l’origine est très largement culturelle : certaines représentations de la montagne correspondent exactement à celles de la Révolution nationale. La montagne est le moyen par excellence d’une « éducation générale », elle est le vecteur d’une idéologie éthique, prônant l’ascèse régénérante, la formation virile d’un homme nouveau, d’un chef, et le communautarisme : autant de valeurs que la Révolution nationale a mises à l’honneur et que le CGEGS et les autres administrations s’empressent de souligner dans les sports de montagne. Enfin, une des raisons primordiales de ce rapprochement est sans aucun doute le patriotisme véhiculé par l’alpinisme et le ski. Ces deux sports autorisent en effet, dans le discours qui les entoure comme dans leur pratique, l’expression d’une grandeur nationale. Cette exaltation de la patrie, dont on attend l’encensement du régime, se teinte parfois d’ambigüité, par une tonalité revancharde qui prend quelques distances vis-à-vis du discours officiel de l’État français.

Une certaine vision de la montagne éducatrice a ainsi favorisé, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’accélération de l’évolution des sports de montagne, ski et alpinisme, et la naissance d’une politique étatique de la montagne, sur la base d’une convergence de représentations et de valeurs.