La protection de l’individu contre lui-même : la question de la liberté individuelle dans la législation de la santé et de la sécurité publique en France depuis 1946

GOYET Vincent, La protection de l’individu contre lui-même : la question de la liberté individuelle dans la législation de la santé et de la sécurité publique en France depuis 1946, Maîtrise [Jean-Louis Robert], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 125 p.

Si l’État français a très tôt inauguré des mesures d’assistance pour porter secours aux malades et aux infortunés, c’est seulement récemment qu’un véritable droit à la santé a été reconnu — via le Préambule de la Constitution de 1946 — et s’est effectivement mis peu à peu en place autour de l’instauration progressive d’une Sécurité Sociale.

Cependant, cette institutionnalisation du sain, et la prise en charge financière par la collectivité des coûts occasionnés par l’individu, conduit rapidement les pouvoirs publics à se préoccuper énergiquement de la santé et de la sécurité publiques : car dès lors, l’explosion des dépenses de santé entraine un nouvel impératif résidant en la diminution des comportements nocifs. La bonne santé et sa promotion deviennent un objectif social. L’observation désormais attentive et globale de la population et de ses habitudes permet d’identifier, et surtout de quantifier (ou de le tenter), un certain nombre de causes non naturelles de mortalité et de maladies. Soucieux non pas seulement d’informer la population sur les risques pris — considère-t-il — inconsciemment, mais aussi et surtout soucieux d’efficacité, l’État organise, sous couvert de Santé Publique, de véritables campagnes de propagande, et dénonce les comportements non sains en tant que comportements inciviques, puisque la Santé Publique est menacée par les « fléaux » que constituent le tabac, le sida, la drogue. Les comportements à risque sont traités comme des maladies, et les individus qui les adoptent sont perçus au mieux comme des mineurs — de perpétuels irresponsables —, au pire comme des fous, qu’il faut soigner.

La multiplication des règlementations vétilleuses et inquisitoires, mais aussi l’incohérence des politiques de santé publique (condamnation des « drogues », mais absence de réflexion globale incluant l’alcool et les médicaments ; même sort réservé au LSD et au cannabis…), suscite de nombreuses oppositions, dont la dispersion ne permet cependant pas un lobbying suffisant pour obtenir la modification, de lois à la constitutionnalité pourtant trouble, malgré les résultats mitigés de cette politique répressive et de déresponsabilisation tout à la fois. Les gouvernements successifs s’obstinent à ne voir dans la revendication des comportements à risque que le symptôme d’un malaise social, et jamais comme la recherche d’un mode de vie alternatif : « Je ne veux pas d’une société qui, sous couvert de respect des libertés individuelles, deviendrait indifférente aux souffrances dont la toxicomanie est toujours révélateur. Je ne prendrai pas la responsabilité d’enfermer les jeunes dans la dépendance alors que beaucoup attendent une aide pour s’en libérer ». (Jacques Chirac, À propos du cannabis, 1995)

La bonne santé de la santé publique passe avant la volonté de chaque citoyen à conduire sa vie comme il l’entend. Le sain est érigé en bon. Or, vouloir faire le bien des gens malgré eux n’est pas une caractéristique démocratique : néo-hygiénisme et totalitarisme mou font leur apparition dans une société en quête de valeurs, et qui se tourne vers la vérité de la médecine.