THOMA Pierre, L’image de la Seconde Guerre mondiale dans les albums de bandes dessinées, Maîtrise [Michel Pigenet], Univ. Paris 1 CHS, 2000, 220 p. + 50 p. d’annexes
Un tel sujet impose une première partie méthodologique dans laquelle nous donnons une définition précise de ce que nous entendons par « album de bandes dessinées », ainsi que les critères de sélection ayant déterminé la constitution de notre corpus, source de notre mémoire. L’étude de notre corpus a montré une rupture chronologique très nette autour del’année 1980 : après cette date, l’album de bandes dessinées s’impose comme la forme principale d’expression du « 9e art », et la croissance des publications d’albums sur la Seconde Guerre mondiale devient exponentielle, avec une multiplication des différentes approches du conflit.
La période 1945-1980 se divise en deux séquences distinctes. De 1945 à 1957, les bandes dessinées adaptées en albums sont marquées par deux discours dominants : des bandes dessinées françaises dressent ainsi un hymne à la Résistance, reprenant à leur compte les mythes patriotiques de l’immédiat après-guerre, comme celui d’une France unanimement résistante. En 1957, tout change avec la série argentine Ernie Pike, battant en brèche le manichéisme. Surtout, en prenant pour héros de simples soldats affrontant la peur et le sang, elle donne un ton plus réaliste aux récits guerriers des années soixante. Ceux-ci sont marqués par l’émergence d’une nouvelle figure héroïque, celle du soldat « forte tête », volontiers indiscipliné et plus violent que son aîné. Les rares albums français de cette période investissent, eux, le genre comique, reprenant, d’une certaine manière, le thème de la comédie résistante, que l’on retrouve au cinéma. La période est enfin marquée par le premier tome de Maus, une série américaine, témoignage en bandes dessinées d’un rescapé d’Auschwitz, et une des premières œuvres de fiction sur la Shoah, tous genres d’expression confondus. Ces nouveaux éléments donnent une image plus réaliste de la guerre, sans se départir de certains clichés.
En 1980, les albums et les approches se diversifient. Quelques albums, au début des années quatre-vingt, adoptent un ton militant, se servant du conflit pour des mises-en-garde antifascistes fortement marquées par l’effervescence idéologique des années soixante-dix. Mais le grand thème de cette décennie est une lecture corrosive du conflit, avec l’humour acerbe et satirique des bandes dessinées « punks » 7 relayées par des albums érotiques. La sortie du deuxième tome de Maus marque le triomphe de cette œuvre sur la Shoah, mais l’échec d’autres albums sur le même thème montre que cette bande dessinée américaine est l’unique réussite du « 9, » art sur ce sujet grave.
À partir de la fin des années quatre-vingt, de nouveaux thèmes surgissent. De nombreux albums français jettent un nouveau regard sur la France de l’époque, en insistant sur les éléments autrefois soigneusement cachés de Vichy et de la collaboration. D’autres thèmes très novateurs apparaissent, comme ces albums prenant pour héros des soldats de l’Axe, ou se servant du conflit comme d’un simple décor, prétexte à des développements intemporels. On assiste également à un curieux retour de l’héroïsme, marqué cependant par un second degré et un ton désabusé très contemporain.