La CGT-FO et la construction européenne, Histoire d’un anticommuniste syndical européen, 1947-1953

ROUSSEL Hélène, La CGT-FO et la construction européenne, Histoire d’un anticommuniste syndical européen, 1947-1953, Maîtrise [Jean-Louis Robert, Michel Dreyfus], 2000, 292 p.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale des militants syndicaux vont faire éclater l’unité syndicale ouvrière française de la CGT. Ils dénoncent et refusent l’asservissement du syndicat à un parti politique : le Parti communiste. Après la scission de 1947, ils fondent une nouvelle centrale, la CGT-FO. Il est évident que ce bouleversement syndical en France fait écho à la constitution des deux blocs au niveau inter­national et à la Guerre froide jusqu’en 1953.

Dans ce contexte, la CGT-FO œuvre à la construction d’une Europe occidentale unie, objectif que l’on trouve, avant la scission chez les minoritaires de la CGT. FO encourage ainsi l’initiative du plan Marshall, source de conflit avec les communistes de la CGT. Cette position revendiquée très tôt lui permet d’obtenir le soutien actif des syndicats américains fortement anticommunistes. Au-delà de l’aide matérielle, les syndicats américains permettent à FO de s’imposer sur le devant de la scène internationale. Avec la création de la CISL (1949), FO réintègre le mouvement syndical international et devient un modèle en Europe du syndicalisme « libre ». Si l’influence américaine est très présente en Europe et précisément sur le terrain syndical, FO prend cependant une position européenne à part entière. En effet, certains militants de FO créent, en juin 1948 suite au Congrès européen de La Haye, un groupe nommé FOSE (Forces ouvrières syndicalistes européennes), à titre individuel, c’est-à-dire n’engageant nullement la centrale FO. Les documents communiqués par Claude Harmel et les archives du CHT de Nantes confirment que la plupart de ces militants appartiennent à la tendance minoritaire de FO. Ils partagent une même conception pacifiste du monde, source de leur engagement européen. Les FOSE se forment sous l’impulsion d’un petit groupe de syndicalistes — pour la plupart révolutionnaires (R. Le Boutre, R. Lapeyre) — qui œuvrent pour la construction de l’Europe fédérale. Trois ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils prônent le rapprochement franco-allemand, avec l’idée d’un pool du charbon pour mettre fin aux problèmes de la Ruhr. Ils proposent en 1948 une Société européenne des houillères — début d’unification économique européenne — deux ans avant le plan Schuman. La volonté de rendre concret le projet de Fédération européenne est réelle, la propagande est de rigueur, car il s’agit de mobiliser les masses travailleuses en faveur d’un tel projet. Ce sont des syndicalistes qui croient en la création d’une Europe fédérale, où les travailleurs sont représentés et leurs intérêts défendus par une participation active des syndicats dans les institutions européennes. Or, les orientations profondément anticommunistes des militants des FOSE peuvent porter à voir dans cette conception visionnaire de l’Europe, scellée par la réconciliation franco-allemande, un moyen efficace de faire bloc à l’avancée soviétique. Loin de la crainte de l’Allemagne revancharde, ils redoutent l’invasion communiste et la perte de la civilisation occidentale. Visionnaires ou réactionnaires ? Toujours est-il que les FOSE jouent un rôle important auprès de FO et donnent, en outre, une image particulière des mouvements fédéralistes européens de l’époque. Les FOSE parviennent à réveiller la conscience européenne de FO : en 1949, elle crée un Comité européen qui siège dans toutes les réunions et institutions de l’Europe.

FO, présente au sein du CSC de l’OECE et du plan Schuman, participe activement à l’ORE de la CISL et intensifie ses échanges intersyndicaux en Europe. Au nom de la lutte contre les syndicats communistes et de la volonté de participer à la construction européenne, FO mène l’unité d’action avec la CFTC dans les instances européennes, et rencontre les autres centrales « libres » d’Europe (DGB, IUC, CGIL…).