Judéités germaniques en exil : problèmes d’appartenance dans la France des années trente

COHEN Déborah, Judéités germaniques en exil : problèmes d’appartenance dans la France des années trente, Maîtrise [Bruno Groppo, Antoine Prost], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1996

Les recherches sur les réfugiés du Troisième Reich dans la France des années Trente se sont concentrées pendant longtemps principalement sur deux catégories : les émigrés politiques proprement dits, d’une part, et l’émigration littéraire et artistique, de l’autre. On a eu tendance à oublier que la grande majorité des réfugiés était composée de Juifs, qui n’étaient ni des militants politiques ni des personnalités littéraires. Ce mémoire s’efforce de remédier en partie à cette lacune. Il s’intéresse principalement à ce groupe central, les réfugiés juifs, et à leur situation particulière dans la France des années Trente. Il montre, tout d’abord, l’extrême difficulté, pour ces exilés, d’être reconnus comme des réfugiés politiques par les pouvoirs publics français, puisque leur situation ne correspondait pas aux catégories traditionnelles utilisées en France pour définir les réfugiés politiques. Il étudie ensuite les problèmes d’appartenance et d’identité qui se sont posés à ces personnes, déchirées entre germanité, judéité et volonté de s’intégrer dans le pays d’accueil. En s’appuyant sur des sources très différentes, le mémoire montre comment, en dehors du champ politique, des solidarités de fait se sont construites et ont aidé ces réfugiés juifs à survivre.

La deuxième partie du mémoire aborde un aspect encore peu connu de l’exil allemand en France : la création et le fonctionnement de quelques colonies agricoles juives, qui avaient pour objectif de modifier la structure sociologique traditionnelle de la communauté juive pour répondre à la fois à l’argumentation antisémite et à un problème social. S’intéresser aux réactions suscitées par ces initiatives est aussi l’occasion de voir comment, en France et à cette époque, s’élabore le discours antisémite, au croisement de concepts globalisants et de l’actualité ponctuelle.

La dernière partie, consacrée aux enjeux idéologiques, étudie l’influence de l’émigration juive allemande sur la formation de l’antisémitisme qui se déploiera sous Vichy. Le souci dominant est alors de redéfinir la nation en en excluant les étrangers. De la stigmatisation de l’étranger juif à l’idée du Juif comme étranger au corps de la nation il n’y a qu’un pas. Face à cet antisémitisme en formation et se masquant encore, les Juifs allemands émigrés ne surent pas renoncer à leurs illusions et à leur volonté d’intégration.