HERVÉ Frédéric, Délibérations des censeurs du cinéma de la Libération, Maîtrise [Pascal Ory], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1999, 160 p. + annexes
Bien que reconnue, la liberté d’expression s’est souvent vue entravée par l’État. Dans l’immédiat après-guerre, c’est d’autant plus le cas pour I’expression cinématographique que le cinéma est alors le plus puissant des médias. À la Libération, le contrôle des films est confié à une commission réunissant des représentants ministériels et des gens de cinéma. L’étude exhaustive des dossiers de censure pour la période 1944-1950 permet donc de dresser l’inventaire des interactions entre l’État et la profession sur fond de reconstruction et de décolonisation, de gaullisme puis de tripartisme, de guerre froide, surtout.
Il a tout d’abord fallu mettre en lumière la composition de la censure. On y trouve des figures du Front populaire sur le retour, à commencer par Georges Huisman, le président de la commission, mais aussi des rescapés de la censure de Vichy. La délégation des professionnels est, quant à elle, très marquée par le Parti communiste. La censure dispose d’outils divers, depuis l’interdiction aux moins de 16 ans jusqu’à l’interdiction totale en passant par les coupures, les restrictions à l’exportation. La statistique montre que l’utilisation de ces modes d’interventions varie, en fait, selon la conjoncture politique, selon les griefs formulés à l’encontre du film, ou encore selon sa nationalité. Ainsi, malgré ses déclarations de principe libérales, la profession s’est servie de la censure pour combattre la pénétration du cinéma américain. Les ministères ont refoulé la production stalinienne. Tous ont défendu l’ordre moral et une certaine vision de la guerre, de l’occupation, de la résistance.
De quel genre cinématographique relève cette vie quotidienne des censeurs du cinéma de la Libération ? Du burlesque lorsqu’un représentant ministériel claque la porte et en appelle à « son ministre » contre le laxisme de la commission. Du polar quand Jeander règle ses comptes avec Viviane Romance à coup d’interdiction à l’exportation. De la comédie de mœurs gui voit Sadoul vilipender « le sexe et la mitraillette ». De la science-fiction lorsqu’on gomme le pacte germano-soviétique dans un documentaire racontant la guerre. Du western enfin, car la dernière séance, celle qui fait éclater la Commission paritaire le 3 mai 1950, aurait pu être tournée par un Sergio Leone !