Criminels et justiciers dans le cinéma français des années trente : analyse comparative de treize films réalisés entre 1931 et 1939

COMESTAZ Yvan, Criminels et justiciers dans le cinéma français des années trente : analyse comparative de treize films réalisés entre 1931 et 1939, Maîtrise [Antoine Prost, Danièle Tartakowsky, Myriam Tsikounas], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1996, 244 p.

L’objectif de ce travail est d’étudier, en comparant treize films, et en se limitant à leur étude « textuelle », la généalogie d’une figure du criminel qui atteint son apogée avec les personnages interprétés par Jean Gabin. Après une première partie sur l’évolution antérieure du thème criminel, la délimitation de la période (les années trente), du corpus (treize films de fiction) et l’exposé de la méthode d’analyse, une seconde partie est consacrée à repérer l’apparition d’un nouveau récit justicier : les formes du récit instituent le spectateur de ces films en juge et partie ; en conséquence, l’espace de la justice institutionnelle, le tribunal, est déréalisé et nié. La rue, la ville, le dehors sont institués nouveaux espaces de revendication et de justice (se pose alors le problème du réalisme). Dans une dernière partie sont étudiés directement les enjeux et les acteurs du conflit : d’un opposant global identifié à la société ou à la fatalité, on passe à la désignation claire d’ennemis à laquelle peut seul répondre le meurtre, qui s’en trouve justifié.

On a pu, finalement, observer une évolution en trois temps : dans la première partie des années trente, dans un décor mal défini, le criminel reste un marginal, dont les révoltes et les plaintes ne trouvent aucun moyen de s’exprimer sur la place publique, même pas par le meurtre ; autour de 1936, deux films de Jean Renoir essaient d’évoquer l’idée d’une justice collective qui va jusqu’à faire perdre au meurtre son caractère illégal ; mais dans un troisième temps, avec les films de la « période Gabin », en particulier ceux de Marcel Carné, un personnage populaire intégré à un décor urbain ouvrier (à présent seul monde possible) et récupéré par la dramaturgie du héros bourgeois est poussé, par des motifs principalement sentimentaux, à assassiner un personnage dont les atours de bourgeois dissimulent surtout l’inhumanité. L’exil ou Ie suicide du meurtrier symbolisent la socialisation de cette figure qui a intégré la morale auparavant déployée dans les tribunaux ; mais le meurtre est à présent pleinement justifié, puisqu’il vise à faire disparaître un être que sa caricaturale théâtralité (cf. Jules Berry), sa monstruosité, voue au bannissement de l’espace cinématographique, envahi par le corps parfait de Gabin.