KAPLAN Benoît, Une génération d’élèves des grandes écoles en Algérie : mémoire d’une guerre, Maîtrise [Antoine Prost], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1994, 2 vol., 154 p. + annexes
Près de cinq Français sur cent, essentiellement des appelés du contingent, ont fait la guerre en Algérie de 1954 à 1962. Pourtant, et malgré son importance numérique, le contingent est resté le parent pauvre de l’historiographie de cette période ; aussi, le tableau que l’on fait de lui, sans être nécessairement faux, reste sommaire. Pour briser le cercle vicieux de l’image unique, il fallait tenter d’isoler une population particulière pour suivre son comportement. C’est ce que nous nous sommes proposé de faire en étudiant un échantillon de soixante-cinq élèves des Grandes Écoles des Mines de Paris, de Polytechnique, de Centrale, de l’École Supérieure de Commerce de Paris et même des ENS de la rue d’Ulm et de Saint-Cloud.
La première étape de notre travail a consisté à créer des sources nouvelles en recueillant les témoignages de ces anciens élèves, au cours d’entretiens non directifs qui ont fait l’objet d’un enregistrement.
Ensuite, nous avons voulu établir la généalogie des mémoires de ces anciens d’Algérie, en suivant les phases successives de leur relation avec cet événement. Nous avons d’abord cherché à connaître l’atmosphère politique de leur vie étudiante et particulièrement de leur école, puis leurs opinions d’alors ainsi que les comportements et l’imaginaire politiques que mettaient en jeu la perspective du départ pour l’Algérie.
Enfin, nous avons tenté de déterminer ce que fut leur expérience algérienne pour comprendre le mouvement intime de la mémoire de cette guerre. L’épreuve d’une forme banalisée et inégale de la violence et de la compromission s’est cristallisée autour de la question d’une culpabilité et d’un jeu de miroir entre leur génération et celles de 1914 et de la Résistance, cristallisation qui empêche nos témoins de se reconnaître véritablement comme des « Anciens Combattants ». Mais si cette identité incertaine interdit la formulation d’un message public propre à nos témoins, elle cache des souvenirs privés qui laissent souvent entrevoir que cette expérience conserve un versant positif et en définitive valorisant pour une partie d’entre eux.