Un aspect de la politique sociale du gouvernement Chaban-Delmas (juin 1969 – juillet 1972) : la politique contractuelle

GAYME Laurent, Un aspect de la politique sociale du gouvernement Chaban-Delmas (juin 1969 – juillet 1972) : la politique contractuelle, Maîtrise [Antoine Prost, Danièle Tartakowsky], Univ. Paris 1 CRHMSS, 377 p.

Notre but était de comprendre pourquoi les années 1969-1972, prises entre la crise sociale, politique et culturelle de 1968, et la crise économique qui débuta en 1973, furent marquées par un incontestable essor des négociations contractuelles entre l’État, les grandes centrales ouvrières et le CNPF, avec d’importants résultats tant pour l’élaboration de nouvelles procédures de négociation salariale dans le secteur public, que pour la conclusion d’accords interprofessionnels dans le secteur privé, sur la mensualisation ou la formation professionnelle continue.

On pouvait a priori penser que le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas cherchait, par la politique contractuelle, à répondre à Mai 1968. Nul doute que, dans l’esprit du Premier ministre et surtout de son conseiller social Jacques Delors, père de cette politique, Mai 68 avait offert une occasion inespérée de mettre en chantier quelques grandes réformes sociales qui iraient dans le sens d’une « nouvelle société » où la pratique généralisée de la concertation permettrait d’éviter de soudaines et dangereuses éruptions sociales.

Mais la politique contractuelle resta longtemps subordonnée à l’impératif industriel, en grande partie parce qu’elle avait été élaborée, dans les commissions du Plan au cours des années 1960, parallèlement aux principes de la politique d’industrialisation, dont elle apparaissait — et fut perçue par les syndicats — comme un moyen privilégié d’accompagnement social. Conçue dans des conditions et avec des objectifs particuliers, elle ne put ou ne sut prendre en compte, ni les aspirations nouvelles qui s’étaient manifestées en 1968 (et par exemple n’apporta aucune solution au problème des OS posé avec acuité à partir de 1971), ni la radicalisation idéologique des positions après 1968 et plus encore à l’occasion du grand réveil revendicatif de 1971, aussi bien dans les rangs syndicaux qu’au sein du gouvernement et de sa majorité. Le Programme Commun, qui marquait la montée en puissance de la gauche politique (depuis 1968 les principales forces de gauche avaient été les forces syndicales), puis la crise économique, qui remettait en question la politique d’industrialisation, sonnèrent le glas de la politique contractuelle, progressivement abandonnée après 1972, et qui échoua pour ne pas avoir radicalement rompu — ce qu’avait fait en partie Mai 1968 — avec les années de Gaulle : mais le pouvait-elle réellement ?