Quand la sécurité routière fait sa pub. Les spots télévisés des campagnes de sécurité routière (1973-2002)

SAINT-GÉRAND Léonore de, Quand la sécurité routière fait sa pub. Les spots télévisés des campagnes de sécurité routière (1973-2002), Maîtrise [Pascal Ory-Myriam Tsikounas], Univ. Paris 1 CHS, 2003, 212 p.

Apparus sur les écrans télévisés en 1973, alors que la mortalité routière atteint des sommets (on compte plus de 16 500 tués sur la route en 1972), les spots de sécurité routière ont connu de véritables évolutions en trente années d’existence. Si leur forme est globalement restée la même (à savoir des spots en couleur de trente à quarante-cinq secondes avec slogan final, diffusés au sein des écrans publicitaires), leurs contenus, mais surtout le volume de leur production ont subi des changements. L’ampleur du fléau est telle au début des années soixante-dix que des moyens considérables sont alloués à la communication : en témoigne le nombre élevé de campagnes télévisées réalisées entre 1973 et 1981 (trois en moyenne par an), ainsi que le nombre de spots qui composent chacune d’entre elles (jusqu’à cinq différents pour une même campagne). Le contenu de cette communication s’attache à donner des conseils précis en sécurité routière, essentiellement sur les trois thèmes majeurs que sont la vitesse, la ceinture et l’alcool au volant. La représentation visuelle de l’accident de la route dans les spots se veut non violente, pour ne pas choquer : d’où le recours à des métaphores visuelles pour figurer le drame routier. Une première évolution se fait sentir au milieu des années quatre-vingt : les conseils précis de sécurité routière sont abandonnés au profit d’un discours généraliste sur le civisme au volant, le partage de la route, la responsabilité de chacun sur la route… Les mises en scène, toujours très métaphoriques, et non violentes, sont plus soignées qu’auparavant (des réalisateurs comme Jean-Jacques Beneix et Raymond Depardon sont mis à contribution). Enfin, une rupture se produit en 1999 : suite à l’aggravation de l’insécurité routière en 1998, les responsables de la communication décident de faire réagir les usagers en adoptant le ton du parler-vrai. Désormais, les violences physiques et morales provoquées par les accidents sont mises en scène dans les films de manière beaucoup plus réelle, donc beaucoup plus choquante. Entre temps, les budgets de la communication de sécurité routière n’ont pas été réajustés, ce qui a eu pour conséquence une réduction sensible du nombre de campagnes et de spots produits par an. Le paysage audiovisuel français a lui aussi beaucoup évolué : si les spots de la décennie soixante-dix bénéficiaient d’une bonne visibilité (les annonceurs utilisant la télévision étaient peu nombreux), ceux des années quatre-vingt-dix, noyés dans des écrans publicitaires de plus en plus longs, se sont faits très discrets. La question qui se pose enfin est celle de l’efficacité des spots de sécurité routière : il semblerait qu’on ne puisse mesurer précisément leurs effets réels sur la réduction du nombre d’accidents (les études et post-tests réalisés après les campagnes permettent de savoir si les spots ont été appréciés, mais non s’ils ont eu une influence sur la modification des comportements routiers). L’efficacité de cette communication télévisée est donc à rechercher ailleurs : elle constitue tout d’abord une sorte de contre-discours au discours dominant sur l’automobile (objet de plaisir, de vitesse, de puissance) ; par le biais de la télévision, elles diffusent des messages de sécurité visant à modifier la représentation culturelle et sociale de la route, qui est encore vécue par de nombreux usagers comme un espace privé où l’autre gêne. Elles permettent également de préparer l’opinion publique, pour que, le temps venu, telle mesure législative soit plus facilement acceptée et donc mieux respectée. Elles constituent aussi un pendant positif — et valorisant pour l’État — au système répressif du contrôle sanction.