Ouvrières et ouvriers des manufactures de tabacs du Gros-Caillou et d’Issy-les-Moulineaux, 1880-1914,

GODEAU Eric, Ouvrières et ouvriers des manufactures de tabacs du Gros-Caillou et d’Issy-les-Moulineaux, 1880-1914, Maîtrise [Michel Dreyfus, Annie Fourcaut], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1997, 197 p.

La manufacture de tabacs du Gros-Caillou, située dans le VIIe arrondissement de Paris, déménagea en 1904 à Issy-les-Moulineaux. Ce déménagement répondait à deux objectifs : la direction voulait adapter la manufacture au machinisme et à la rationalisation de la production, elle entendait aussi mettre un frein à l’essor du syndicalisme. L’entrée dans la modernité et l’émancipation des ouvriers furent les deux principales transformations qui affectèrent les manufactures de tabacs du Gros-Caillou et d’Issy-les-Moulineaux entre 1890 et 1914. L’employeur, c’est-à-dire l’État, et le personnel ouvrier composé de femmes à 84 %, en furent les acteurs. Quelle part revient respectivement à la Direction et aux ouvriers dans l’évolution des métiers des tabacs et des conditions de travail à la manufacture ?

Les ouvriers du Gros-Caillou et d’Issy étaient nés dans la plupart des départements français ; avaient entre 20 et 65 ans ; exerçaient des métiers divers (du simple manœuvre à la cigarière, il y avait une large gamme de métiers, de qualifications et de salaires) : autant de points qui contribuaient à les diviser. Mais le groupe ouvrier réagissait en classe quand il s’agissait de défendre ses intérêts. Autour du syndicat, les ouvriers luttaient contre l’arbitraire de la Direction, revendiquaient de meilleures conditions d’hygiène et de sécurité, défendaient le système de protection sociale. Comme tout employeur, l’État était en conflit permanent avec les ouvriers qui entendaient peser sur les décisions prises par la direction. Il voulait « tenir » le personnel ; d’autant plus que celui-ci était majoritairement féminin : l’ouvrière était l’éternelle mineure qu’il fallait éduquer. Néanmoins, l’État n’était pas un patron ordinaire, il offrait aux ouvriers de nombreux avantages : la garantie de l’emploi, des salaires féminins supérieurs à la moyenne, un système de protection sociale avancé (et en particulier la retraite)… autant de points qui faisaient des ouvriers des tabacs, et surtout des ouvrières, des privilégiés aux yeux de la classe ouvrière de l’époque.