Monographie du centre de chèques postaux de Paris : 1945-1968

ANTISTE Alex, Monographie du centre de chèques postaux de Paris : 1945-1968, Maîtrise [Antoine Prost, Christian Chevandier], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1999, 258 p.

À l’image du succès remporté après la Seconde Guerre mondiale par le service français des chèques postaux, créé par l’administration des PTT en 1918, le centre des chèques de Paris a connu, entre 1945 et 1968, une croissance exceptionnelle de son trafic et de ses effectifs, à une époque justement où le secteur tertiaire administratif et la petite fonction publique étaient en plein essor. L’étude des origines, des conditions de vie et de tra­vail et du syndicalisme du personnel postier de Paris-Chèques, nous a per­mis de participer à l’histoire syndicale de la fonction publique et aux champs de recherches ouverts récemment sur l’histoire sociale du travail des femmes.

Quelle était la condition sociale réelle de ces postières ? Pour répondre à cette question qui recoupe toutes les dimensions de notre étude, nous avons consulté les documents des Archives Nationales et les archives syndi­cales accessibles sur ce sujet. Trop lacunaires et fragmentaires, ces sources ont été complétées par une série de témoignages d’anciens employés du centre, et par des archives privées, dont un journal exceptionnel tenu au jour le jour, par un militant CFDT de Paris-Chèques pendant toute la durée de la grève de 1968.

Il est apparu finalement que cette administration particulièrement concernée par les exigences de productivité, et qui ne parvenait que diffici­lement à réunir les effectifs nécessaires à l’écoulement du trafic, employait des jeunes femmes de milieux populaires, originaires après 1950, pour la plupart de province, et du sud-ouest en particulier. Ces dernières, unies par le sentiment du déracinement, connaissaient à Paris 1es difficultés maté­rielles et pécuniaires des salariées les plus modestes de la capitale. Mais elles jouissaient néanmoins des avantages liés à leur statut de fonctionnaire et des possibilités de promotion ou de mutation, qui leur étaient offertes par l’administration des PTT. Dans un centre où l’organisation était rationali­sée et taylorisée, la majorité des agents d’exécution, vérificatrices ou méca­nographes étaient de véritables OS du tertiaire, qui subissaient, parfois au détriment de leur santé, la fatigue nerveuse causée par un rythme de travail toujours soutenu. Les autres, chefs de groupe, ou employées dans certains services annexes, effectuaient, elles, un travail un peu moins pénible, et plus valorisant. Quant au syndicalisme des chèques, il était marqué par des divi­sions profondes, et confronté à un personnel féminin peu marqué par l’esprit fonctionnaire et plutôt passif. Il a toutefois bénéficié, à partir des années 1950, du travail efficace de nouvelles militantes très actives et sou­cieuses de défendre les revendications spécifiques des jeunes femmes du centre. C’est d’ailleurs en partie la raison pour laquelle, après la grève d’août 1953, très bien suivie, l’état d’esprit des employées évolua considérablement leur participation aux actions syndicales augmenta d’une manière significative. La grève victorieuse de 1968 marqua d’ailleurs l’apo­gée et le couronnement des nombreux mouvements organisés à Paris-Chèques à partir du début des années 1960. À son issue, en effet, la prin­cipale revendication du personnel d’exécution, à savoir, la réduction du temps hebdomadaire de travail, fut enfin satisfaite. Ce qui contribua ainsi largement à l’amélioration de leurs conditions de travail.

Particulièrement représentatif des grandes « usines administratives » françaises du secteur tertiaire de l’après-guerre, le centre de chèques postaux de Paris a ainsi abrité, de 1945 à 1968, un personnel dont les origines et les conditions reflétaient tout à fait la prolétarisation alors générale des employés de bureau. Néanmoins, même aliénant, ce travail d’employée à la chaine permettait à ces jeunes postières d’accéder aux avantages offerts par le statut de fonctionnaire. Ce qui, pour des jeunes femmes de milieux modestes, suffisait le plus souvent à satisfaire leurs aspirations et pouvait même constituer une réelle promotion.