Louis Aragon entre littérature et politique : ses articles dans les Lettres Françaises de 1960 à 1972

OLIVERA Philippe, Louis Aragon entre littérature et politique : ses articles dans les Lettres Françaises de 1960 à 1972, Maîtrise [Antoine Prost, Danièle Tartakowsky], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1991, 154 p.

Cette étude cherche à saisir la position d’Aragon à la charnière entre littérature et politique. À la fois « grand écrivain » et personnalité politique éminente du PCF, Aragon refuse de sacrifier un pan de son activité à l’autre. Or, à la différence des années cinquante pendant lesquelles il pouvait les exercer toutes deux au sein du PC et du monde communiste en général, les années soixante se marquent par l’abandon progressif de l’idée de construire une véritable contre-culture communiste : dès lors concilier ses activités politiques et littéraires fait problème. Sans pour autant renoncer à exercer un rôle politique important au sein du PCF, Aragon doit retrouver dans les années soixante la faveur et l’audience du champ culturel. Ce processus se déroule depuis le succès public de la Semaine sainte en 1958 jusqu’à la consécration de l’élection à l’Académie Goncourt en 1967, pour s’interrompre avec les grandes fractures de l’année 1968.

Les Lettres Françaises sont un lieu d’observation privilégié pour appréhender l’évolution de la position d’Aragon : d’abord parce qu’il y est chez lui, dans son journal ; ensuite parce que les textes qu’il y publie représentent près des deux tiers de sa production « journalistique » pendant ces années ; enfin et peut-être surtout parce que Les Lettres Françaises elles-mêmes, à l’image de leur directeur, se trouvent à la charnière des deux espaces politique et culturel. L’étude du corpus constitué par l’ensemble des textes, articles et autres contributions d’Aragon dans les Lettres entre 1960 et 1972 illustre les difficultés qui découlent de la nécessité d’un double langage visant à la fois le champ culturel et l’intérieur du parti communiste. On y voit Aragon réussir très progressivement à séparer ses deux discours, en « déstalinisant » d’abord la littérature à travers la notion de « réalisme » (1960-1964), la dépolitisant ensuite grâce au renvoi des anciennes polémiques dans le passé (1964-1965), pour enfin réussir à séparer clairement littérature et politique et retrouver pleine et entière légitimité dans le champ culturel (1966-1968).

L’échec final de ses efforts en 1968 met en lumière la précarité de cet équilibre entre littérature et politique. À travers le cas très particulier d’Aragon, c’est la très forte revendication d’autonomie du champ culturel qui apparaît, peut-être plus encore que dans le cas plus classique des intellectuels ou des écrivains « engagés ».