Les sociétés municipales de secours mutuels des XIXe et XXe arrondissements de Paris : 1865-1950

ANDRIEU Claire, Les sociétés municipales de secours mutuels des XIXe et XXe arrondissements de Paris : 1865-1950, Maîtrise [Antoine Prost, Michel Dreyfus], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1997, 309 p.

Les SSM municipales du XIXe et du XXe sont directement issues du décret impérial du 28 mars 1852, qui met en place un nouveau type de mutualité. En échange d’avantages réels, ces « sociétés approuvées » sont l’objet d’une lourde surveillance de la part du pouvoir. Celle-ci s’exerce de plusieurs manières. La plus caractéristique est la présence d’une nouvelle catégorie de sociétaires, les membres honoraires ou « membres bienfaiteurs » qui apportent leur caution morale et financière, sans bénéficier des prestations, et qui s’occupent de gérer la société. Le changement le plus profond concerne la composition sociologique de ces mutuelles. Elles ne regroupent plus des travailleurs exerçant la même profession pouvant avoir des intérêts communs à défendre. Le recrutement est désormais interclassiste, sur la base de la commune ou de l’arrondissement. Trois axes de recherche ont été développés. L’étude de deux de ces « sociétés approuvées » était l’occasion d’une analyse concrète de la mutualité impériale. On a pu constater l’étendue du patronage exercé par les membres honoraires, dont la proportion est même apparue, dans les cas des SSM du XIXe et du XXe, supérieure à la moyenne nationale, et sans lesquels ces deux sociétés n’auraient sans doute pas pu fonctionner. À ce patronage, s’ajoute celui de la municipalité, venant accroître la sécurité du système. Pourtant, malgré ces aides financières, ces deux sociétés rencontrent des difficultés constantes pour maintenir un équilibre entre cotisations et prestations. Ainsi, elles ont souvent été obligées de limiter la portée de leurs prestations. Autre point mis en évidence, tout dans leur fonctionnement quotidien (conditions d’admission, de radiation, critères qui déterminent l’obtention de telle ou telle prestation, nature des prestations, rites et pratiques de sociabilité, ou encore règle de fonctionnement) correspond à l’idéologie de la mutualité impériale, à savoir une volonté de moralisation, de responsabilisation de la classe ouvrière, et de contrôle, dans l’optique d’une réconciliation des classes. Enfin, la composition sociologique de ces deux sociétés diffère légèrement de l’image que l’on a habituellement des membres de ces « sociétés approuvées ». Leur recrutement apparaît plus « populaire », sans doute en raison des quartiers où elles sont implantées.

Le deuxième axe de recherche est le rapport de ces deux sociétés territoriales à la vie locale : vie économique, sociale, culturelle, voire politique. Sur un certain nombre de points (collaboration avec le personnel enseignant, lien avec d’autres organisations, participation à des manifestations locales, liens avec les édiles locaux), la SSM du XIXe apparaît mieux intégrée à son quartier que son homologue du XXe. Il a été intéressant de constater le niveau d’implication des édiles municipaux, notamment de relier cette implication à la volonté de conforter un mandat électif. Parmi les hommes politiques locaux, ayant eu un lien avec les SSM des XIXe et XXe on compte un nombre non négligeable de militants socialistes.

Enfin, l’histoire de ces deux mutuelles s’inscrit dans celle, plus large, du mouvement mutualiste français. La manière dont elles ont réagi face à l’intervention croissante de l’État dans le domaine de la protection sociale a été étudiée ainsi que leur adaptation à la mise en place progressive, tout au long du XXe siècle, d’une législation d’Assurances sociales obligatoire (de la loi des Retraites ouvrières de 1910, à la Sécurité sociale en 1945, en passant par les Assurances sociales de 1928-1930). Alors que la SSM du XIXe tente de se transformer pour survivre, adapte ses prestations, la SSM du XXe reste le plus souvent sourde à tous changements, la Sécurité sociale lui portant d’ailleurs le « coup de grâce » après la Seconde Guerre mondiale. Une approche chronologique sur une si longue période a permis de cerner le rythme de développement de ces deux sociétés qui paraît plus lent que celui du mouvement mutualiste au niveau national. Cette constatation vient confirmer l’hypothèse du faible développement de la mutualité parisienne.

L’analyse à la fois chronologique et thématique de la vie de deux SSM a permis d’éclairer l’histoire de la mutualité parisienne, de son développement et de ses composantes. Sur ce point, l’analyse des différences ayant existé entre les SSM du XIXe et du XXe, pourtant proches géographiquement, est venue enrichir notre étude. En outre, nous avons pu retracer l’histoire de la première mutuelle scolaire de la France — la SSM scolaire du XIXe, annexe de la société adulte — et présenter le fonctionnement de cette forme originale de mutualité, née à Paris et aujourd’hui disparue.