Le peuple et la guerre d’Espagne (1936-1939)

GIUDICELLI Romain, Le peuple et la guerre d’Espagne (1936-1939), Maîtrise [Antoine Prost, Michel Dreyfus], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1996, 249 p + 15 p. d’annexes

En mars 1936, après la réunification de la CGT et de la CGTU, le quotidien Le Peuple demeura l’organe officiel de la centrale syndicale ; de ce fait, quatre mois plus tard, c’est bien en tant que tel qu’il commenta les premières nouvelles ayant trait à l’insurrection militaire espagnole. Cette réaction fut immédiate et occupa très vite une place très importante dans les pages du quotidien : il faut dire qu’en quelques jours à peine, le journal entreprit tout à la fois de défendre le gouvernement Blum contre les attaques de la presse de droite, de commenter les nouvelles confuses des premiers temps du conflit, et de clamer haut et fort sa solidarité avec les républicains espagnols. Ce dernier point l’amenant sans hésiter à condamner toute position de neutralité, fut-elle le fait du gouvernement de Front populaire. Dès lors, l’analyse du journal demeura identique jusqu’à la fin du conflit : la non-intervention était à « reconsidérer », et la solidarité avec les républicains devait être « agissante ».

Après l’étude de cette courte période initiale pendant laquelle le journal forgea sa position sur le conflit espagnol, s’attache à la double relation entre Le Peuple et la guerre d’Espagne : d’une part, le rôle que le quotidien joua dans le conflit, et, d’autre part, l’action de celui-ci sur l’identité du quotidien. Si Le Peuple fut bel et bien un acteur dans la guerre d’Espagne, son rang doit être mesuré à deux niveaux. À l’échelle de la guerre civile, l’aide apportée aux républicains par le biais des souscriptions lancées dans le journal par la CGT fut d’une infime modestie. Cependant, du point de vue de l’engagement du quotidien dans une solidarité sans faille auprès des combattants antifascistes espagnols, et étant donné les moyens dont il disposait pour le faire, Le Peuple ne ménagea pas ses efforts : campagnes de pression sur les gouvernements français, accueil des réfugiés, aides ponctuelles aux comités locaux, reportages sur place, et, surtout, permanence (même relative) de l’évocation du conflit malgré son enlisement En ce sens, son action fut d’une importance remarquable.

L’influence du conflit espagnol sur le journal confédéral, bien que moins spectaculaire, fut réelle. En effet, le divorce dans l’analyse de la situation internationale du gouvernement de Front populaire fut le premier signe de la fracture profonde qui marqua le mouvement syndical français dans l’immédiat avant-guerre. Les ex-confédérés se partageaient maintenant entre les centristes, qui prônaient une politique de fermeté à l’encontre des pays fascistes, et les pacifistes qui, du slogan confédéral « La Liberté et la Paix », ne retenaient que le deuxième terme. Ces derniers furent très largement minoritaires au sein du Peuple, et quand bien même ils y tenaient une place régulière, les articles pacifistes restèrent d’une rareté frappante. La direction du journal, qui recoupait celle de la Confédération, préféra taire les divisions tout en affirmant clairement sa position. Plutôt que de faire naître un débat sur les questions internationales. En cela, Le Peuple fut une excellente illustration de la tactique centriste de la CGT : nier les divergences pour mieux affirmer sa propre position.