Le Monde et la représentation des extrêmes gauche trotskystes, de 1968 à nos jours

BRIE Julie de, Le Monde et la représentation des extrêmes gauche trotskystes, de 1968 à nos jours, Maîtrise [Claude Pennetier, Jean-Louis Robert], Univ. Paris 1 CHS, 2003, 169 p.

La représentation des organisations qui se réclament du trotskysme a changé : Arlette Laguiller au lieu d’incarner une « Vierge Rouge », nouvelle Louise Michel, devient la « sœur Emmanuelle des banlieues et des usines closes ». Tout en se limitant aux mouvements trotskystes « dans un seul pays », ce travail vise à éclairer l’évolution de la représentation de trois formations emblématiques du trotskysme français dans la presse nationale et plus précisément dans le journal Le Monde. Les trois organisations prises en compte sont : le Parti des Travailleurs, la Ligue communiste révolutionnaire et Lutte ouvrière qui composent en France la face émergée de l’iceberg et sont rassemblés systématiquement notamment dans le traitement rédactionnel de la presse nationale. La perception des mouvements d’extrême gauche trotskystes par Le Monde est sujette à évolution. Elle fluctue et passe par trois grandes phases majeures qui ont été délimitées en fonction du traitement médiatique des trois principales organisations trotskystes. Les différentes étapes de représentation du quotidien ont été délimitées grâce à des forages dans le temps, lors des échéances électorales ou de moments médiatiquement forts de la mouvance trotskyste. En 1968, ces « nouveaux venus » pour les médias sont extrêmement délicats à cerner. Leur irresponsabilité politique, leur comportement incohérent sont souvent mis en exergue. Aux élections présidentielles de 2002, ils sont considérés comme des partis comme les autres, ou presque. Entre ces deux échéances, Le Monde se familiarise avec ces entités idéologiques et politiques non-conformistes, évolue, se transforme, de même que l’opinion publique, tandis que les organismes trotskystes entament un processus d’intégration au cœur d’un système politique qui, à l’origine, n’est pas le leur. Le produit trotskyste déclassé se vend de mieux en mieux aux rayons de la politique. Il devient un élément à part entière de la culture française. Sans aller jusqu’à parler de campagnes de presse favorables, les trotskystes ont bénéficié d’une certaine sympathie de la part du quotidien. Si les « tendances gauchistes », les groupuscules fanatiques des années soixante sont aujourd’hui présentés comme des partis politiques responsables et des alliés potentiels pour les formations politiques traditionnelles, Le Monde y est pour beaucoup. Certes, le comportement des formations elles-mêmes a beaucoup évolué, mais la succession de générations de journalistes dans l’histoire de la représentation des trotskystes est très importante pour comprendre l’évolution du regard porté et celle de l’opinion. Par nature, origine et structure, ce sont des mouvements qui se prêtent difficilement à une analyse scientifique, car ils se sont formés dans la tradition du cloisonnement et du secret. Aussi la presse a-t-elle une certaine tentation simplificatrice, celle de faire une analyse schématique et réductrice portant un jugement globalisant bientôt caduque. Le mérite du Monde est d’avoir voulu, dès le début, sortir de cette relation simpliste et d’avoir tenté patiemment de comprendre et de donner à comprendre les trotskystes, leur comportement et leur base sociale et politique. À la fin de la période, chaque partie s’emploie à apprivoiser et se servir de l’autre. Au point que l’on peut se demander qui, au terme de trois décennies, des trotskystes ou de la presse, a fait le plus de progrès dans la connaissance de l’autre.