Le Cercle Proudhon : une synthèse impossible, 1911-1914

POUMAREDE Gérard, Le Cercle Proudhon : une synthèse impossible, 1911-1914, Maîtrise [Lucette Le Van-Lemesle, Antoine Prost], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1992, 255 p.

L’éphémère Cercle Proudhon serait resté le domaine privilégié de quelques amateurs de curiosités historiques, si le virulent débat engagé autour de l’existence d’un « fascisme à la française » ne l’avait un jour exhumé de l’oubli auquel il semblait condamné. Traquant les prémices de l’idéologie fasciste dans la France de la Belle Époque, l’historien Zeev Sternhell a jugé que cette petite société de pensée avait un rôle suffisamment important dans son élaboration pour terminer son second livre par son évocation. Elle y apparaît comme le point d’orgue de la sensibilité préfasciste que l’auteur repère auparavant dans la Ligue des Patriotes ou le syndicalisme jaune. Elle formerait ainsi le creuset où viennent se mêler, pour la première fois, des hommes issus de ces deux traditions qui, pour Zeev Sternhell, forment le fascisme, le nationalisme et le socialisme, pris ici dans sa variante syndicaliste-révolutionnaire.

Conscients que les membres du Cercle Proudhon eux-mêmes revendiquaient fièrement la réalisation de cette synthèse, nous avons néanmoins souhaité en analyser les modalités avec plus de précision. L’unanimité était trop belle, les certitudes trop ancrées, les formules trop systématiques pour ne pas essayer d’en prendre les distances. Notre étude s’est alors orientée selon deux axes. Relisant les Cahiers du Cercle Proudhon, nous avons tout d’abord tenté d’y retrouver les fruits intellectuels originaux de cette synthèse proclamée, les éventuelles traces de ce préfascisme signalé. Force est d’avouer notre déception. La pensée du Cercle ne révèle pas les surprises promises. À bien des égards, elle n’est qu’un bricolage précaire, fortement imprégné de maurrassisme, où les quelques références syndicalistes s’apparentent à des concessions. Tout y est, de la prééminence du politique jusqu’à l’affirmation à peine voilée de la nécessité monarchique. En définitive, bien peu d’innovations : le Cercle reste fidèle à Maurras. Nous ne pouvons sur ce point que nous opposer aux conclusions de Zeev Sternell.

Sachant combien le terrain de l’histoire des idées est hasardeux, nous avons alors, dans un second temps, cherché les moyens de vérifier nos premières hypothèses. L’étude minutieuse de la naissance du Cercle, de son fonctionnement, de son recrutement, nous en fournit l’occasion. Elle vint confirmer nos premières suppositions : il apparaît clairement que le cercle Proudhon est né dans le giron de l’Action française. L’idée en revient à deux de ses militants les plus fameux à l’époque, Georges Valois et Henri Lagrange. Au cours de sa brève existence, le Cercle a reçu un appui sans faille du mouvement monarchiste aussi bien d’un point de vue logistique (prêt de locaux, annonce de ses réunions dans le journal l’Action française) que sur un plan humain. En effet, et ce n’est pas le moindre des paradoxes du Cercle, l’essentiel de ses recrues appartiennent au mouvement de Maurras. Une prosopographie des membres du petit groupe a ainsi révélé que ses membres non-monarchistes se comptaient sur les doigts d’une main, quand les autres dépassaient la vingtaine. Point de synthèse donc, mais une machine à convertir quelques égarés du syndicalisme, un leurre grossier qui na pas réussi à tromper la classe ouvrière, si l’on en juge l’insuccès final du groupe, mais auquel certains historiens se sont un peu rapidement laissés prendre.