La représentation des anciens combattants de la Grande Guerre dans les films français de fiction (1919-1989)

RICHARD Julie, La représentation des anciens combattants de la Grande Guerre dans les films français de fiction (1919-1989), Maîtrise [Myriam Tsikounas], Univ. Paris 1 CHS, 2002

La représentation des anciens combattants de la Grande Guerre est étudiée grâce à un corpus de 25 films sortis sur les écrans français de 1919 à 1989. Les dix films visionnés, du remake du Gamin de Paris (1932) de Gaston Roudès à La Vie et rien d’autre (1989) de Bertrand Tavernier, en passant par la version 1937 du fameux J’accuse ! d’Abel Gance, et le premier film de Claude Berri, Le Vieil homme et l’enfant (1966), sont présentés et analysés chronologiquement, afin d’observer la constitution et les évolutions de ce personnage très particulier.

Tout d’abord sacralisé et doté d’autorité, remobilisé sur les écrans dans un but pacifiste à la fin des années trente, le personnage de l’ancien combattant devient une figure rare après 1940. En effet, la Seconde Guerre est une coupure majeure pour le personnage : non seulement il a « échoué » dans la mission pacifiste qui constituait sa principale fonction, mais, en outre, la Grande Guerre, désormais nommée la Première Guerre, et ses suites sont occultées par l’impact du second conflit mondial.

Le renouveau du personnage à la fin des années quatre-vingt semble d’ailleurs participer d’un mouvement de redécouverte de la guerre de 14-18, mouvement auquel l’historiographie n’a pas échappé.

Une analyse thématique regroupe ensuite sous une même interrogation l’ensemble des films du corpus, notamment grâce au recoupement de sources filmiques et de sources textuelles concernant les films du corpus aujourd’hui disparus (notices des catalogues, revues de presse). Ainsi, les films mettant en scène un ancien poilu permettent d’analyser les représentations de la Grande Guerre, et celles de l’après-guerre, à la fois temps de déception et temps de deuil.

Les reconstructions a posteriori de 14-18 étudiées en proposent une version acceptable, bien que très partielle et stéréotypée, ce qui favorise la perte du sens de l’événement, jusqu’à le rendre incompréhensible pour qui l’interroge. Le cinéma relaie ici le « voile conceptuel » dressé devant le premier conflit mondial, et ses aspects les plus embarrassants.

Quant aux représentations de l’après-guerre, elles présentent, autour de la figure du retour du poilu à la société civile, parmi I’ancien « arrière », un personnage profondément désillusionné. L’ancien combattant de la Grande Guerre à l’écran a ainsi une fonction critique, fonction qui met en avant la vanité des promesses de guerre (promesses de gloire, d’une société régénérée, de paix éternelle).

Le retour du poilu dans ses foyers est souvent manqué, ou même incomplet : le personnage apparaît ainsi entre deux eaux, entre deux états, entre la vie et la mort, fantôme ou « revenant-ressuscité ». Cette caractéristique constitue l’une des nombreuses traces d’une société marquée par la mort de masse laissées dans les films en question. Films de fiction, films d’un cinéma le plus souvent commercial, familial, sans prétentions autres que le divertissement, les films du corpus ont peut-être, à leur manière, une fonction de deuil, et aident à panser les blessures d’une guerre aux conséquences catastrophiques.