La politique culturelle de Philippe de Villiers : 1978-juin 1987 de la Vendée à l’État

LEMAIRE Anne, La politique culturelle de Philippe de Villiers : 1978-juin 1987 de la Vendée à l’État, Maîtrise [Pascale Goetschel, Pascal Ory], Univ. Paris 1 CHS, 2003, 229 p.

Créateur, en 1978, du spectacle du Puy du Fou en Vendée, de la première radio régionale libre, Alouette FM et d’une école de communication à Nantes, Philippe de Villiers faisait figure, au début des années 1980, d’entrepreneur culturel local important, et acquit ainsi une certaine reconnaissance. Pourtant en acceptant en mars 1986 un poste de secrétaire d’État auprès du ministre de la Culture et de la Communication, François Léotard, au sein du gouvernement de Jacques Chirac, il ne parvint jamais à s’adapter aux exigences de ses nouvelles fonctions et déclare aujourd’hui avoir fait une grosse erreur. En effet, ses réalisations furent peu nombreuses au regard de tous les projets avortés : de l’action locale à la politique culturelle nationale, le pas ne fut pas franchi aisément. Alors qu’il fut recruté pour ses qualités d’homme de terrain, pourquoi bénéficia-t-il d’une marge de manœuvre en définitive restreinte ? L’entrepreneur culturel était-il incompatible avec le secrétaire d’État ? Par ailleurs, au-delà de ce demi-échec rue de Valois, Villiers mis en place, depuis le Puy du Fou jusqu’à nos jours, une pensée extrêmement cohérente en matière d’action culturelle, fondée sur ses expériences vendéennes et qu’il développa largement en tant que secrétaire d’État. Il s’agit donc de voir comment il s’inscrit de façon originale au sein de ce qu’on appelle les politiques culturelles de droite, dans une perspective critique de l’action de la gauche dans ce domaine, particulièrement infléchie par Lang. « Vendéen de naissance et de cœur » comme il se définit lui-même, énarque et démissionnaire de la fonction préfectorale en 1981, Villiers se vante d’un parcours, il est vrai, peu commun. Pourtant ces années sont essentielles pour comprendre la suite de son action, y compris son passage au ministère, et témoignent d’une grande cohérence de pensée sur l’ensemble de sa carrière. En effet, c’est au cours de cette période qu’il devint « entrepreneur de culture ». Il se fit alors connaître comme un homme de terrain essentiellement, peu préoccupé de politique. Il entretint à cet effet une image volontairement contrastée, nouant des sympathies à droite comme à gauche, et plaçant les valeurs au-dessus des appartenances politiques. Par ailleurs, à travers le Puy du Fou, se mirent en place les éléments originaux d’une future politique culturelle, du moins d’une certaine conception de la culture. La réussite semblait totale. Toutefois, l’image du « saltimbanque » survécut mal à sa nomination au ministère : la gauche qui avait été séduite par son discours volontiers iconoclaste et ses réalisations originales se méfia de lui dès lors qu’il était entré dans un gouvernement de droite, après avoir clamé son désir de rester apolitique. Par ailleurs, la droite classique était rassurée de le voir rentrer dans le rang. On assiste donc à un renversement complet des sympathies en sa faveur. C’est pourquoi il déclara ensuite avoir « aliéné sa différence » en acceptant ce poste. L’arrivée de Villiers au ministère s’inscrit dans un contexte politique nouveau : celui de la première cohabitation, qui perturba alors la vie politique française. Ce système, jugé profondément pervers par Villiers, explique en partie son malaise rue de Valois. De plus, le domaine de la culture ressentait particulièrement les inconvénients de cette situation, puisque Léotard devait succéder à Jack Lang, personnage médiatique, très connu et apprécié du milieu des artistes, et resté proche du président de la République. L’héritage de son action était conséquent en mars 1986, et la question de la rupture ou de la continuité avec ce dernier se posa très vite, cristallisant les premiers désaccords entre Villiers et son ministre : les deux hommes n’entendaient pas gérer la situation de la même façon. Par ailleurs, la situation juridique de Villiers, particulièrement floue, ajouta à ses difficultés : chargé de seconder Léotard sur n’importe quel dossier où il pourrait avoir besoin de lui, il n’avait ni portefeuille ni attribution précise. Si cette imprécision devait lui permettre de faire valoir ses qualités d’entrepreneur indépendant en devenant la « boire à idées du ministère », susceptible de lancer des projets novateurs dans tous les domaines, l’absence de moyens (en particulier financiers) permettant de les réaliser, amputa de moitié l’intérêt de son travail, ce dont il souffrit beaucoup. Villiers réagit extrêmement mal, n’arrivant pas à s’intégrer au sein d’une structure dont il n’était pas maître. Son tempérament peu commode et son indépendance d’esprit y sont donc pour beaucoup dans ces difficultés. Par ailleurs, le reste de l’équipe le confina dans un rôle de représentation du ministère, comme une sorte de doublure de François Léotard, ce dont il ne pouvait se satisfaire. Aussi, quand le 1er juin, la mort de Vincent Ansquer laissa vacant le siège de député de Vendée, Villiers saisit l’occasion. Le « retour vendéen » apparaissait donc comme logique, dans la mesure où il voulait continuer d’agir comme un « entrepreneur de culture », ce que ne permettaient pas ses fonctions de secrétaire d’État. Toutefois, de la Vendée à la rue de Valois, si l’action concrète n’a pu véritablement s’épanouir, le discours est en revanche resté extrêmement cohérent, manifestant une réelle pensée en matière d’action culturelle, clairement orientée à droite, mais proposant une alternative originale aux politiques culturelles de gauche, telles qu’elles avaient été instituées par Malraux et infléchies par Lang. Fondée sur l’expérience de terrain, sa politique culturelle rêvée était assurément hybride, et mêlait une conception traditionaliste de la culture française à la prise en compte des nouvelles technologies et stratégies de communication comme l’avenir du secteur culturel, le tout régi par des principes économiques extrêmement libéraux et une conception minimale du rôle de l’État dans le domaine de la culture. Mais depuis la fréquentation, à la fin des années 1970, des cercles de la Nouvelle Droite, jusqu’à son adhésion à l’Alliance pour une nouvelle culture au début des années 1980 et l’écho de ses discours dans le mouvement de critique libérale de l’action de Lang qui s’amplifia au début des années 1990, Villiers semble avoir tiré des éléments de sa pensée ici ou là, sans pour autant s’inscrire durablement dans aucun de ces mouvements. Là encore, il fit figure de cavalier seul. Il fallut attendre son arrivée au conseil général de Vendée pour que sa pensée soit véritablement relayée par une politique culturelle publique, et pas seulement une action indépendante.