La commission internationale contre le régime concentrationnaire, 1949-1959. Des rescapés des camps nazis combattent les camps de concentration

WIEDER Thomas, La commission internationale contre le régime concentrationnaire, 1949-1959. Des rescapés des camps nazis combattent les camps de concentration, Maîtrise [Pascal Ory], Univ. Paris 1 CHS, 2001, 272 p.

Le 12 novembre 1949, Le Figaro littéraire publie en première page un appel aux anciens déportés des camps nazis et à leurs organisations, toutes nationalités et toutes tendances politiques confondues, les priant de constituer une commission d’enquête sur les camps de travail en URSS. L’auteur de l’article est David Rousset, rescapé de Buchenwald et Neuengamme, auteur de L’Univers concentrationnaire (prix Renaudot 1946).

L’initiative de Rousset suscite de nombreuses réactions. Les plus violentes viennent des rangs communistes. Le 17 novembre 949, Pierre Daix, ancien déporté à Mauthausen, publie dans Les Lettres françaises — dont il est le rédacteur en chef — un long article dans lequel il accuse Rousset de propagande antisoviétique, d’avoir falsifié les textes et de s’être appuyé sur de faux témoignages. Rousset réplique en engageant une action en diffamation contre Daix et son journal. Un an après, a lieu à Paris un procès retentissant où viennent témoigner un grand nombre d’anciens déportés du Goulag.

Si tous les anciens déportés et les intellectuels ne suivent pas les communistes dans leur croisade, rares sont ceux qui adhèrent sans condition à la proposition de Rousset. En limitant l’enquête aux seuls camps soviétiques, celui-ci est soupçonné d’arrière-pensées politiques qui, en cette période de guerre froide, demeurent inacceptables pour beaucoup, y compris pour de nombreux non communistes. En octobre 1950, la Commission internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC) est finalement créée, mais son champ d’investigation est élargi à tous les camps susceptibles cl’exister à travers le monde. Composée d’Allemands, de Belges, d’Espagnols, de Français et de Hollandais, puis plus tard de Danois et de Norvégiens, la CICRC effectue, de 1950 à 1959, un travail considérable, et ce malgré des difficultés financières chroniques. Elle s’intéresse aussi bien à des États communistes — comme la Chine et l’URSS — qu’à des dictatures « de droite » comme l’Espagne et la Grèce, et même à la politique coloniale de la France, puisque des délé­gations de la CICRC étudient le problème des camps d’internement en Tunisie (1952) et en Algérie (1957). Chaque fois, des centaines de témoins sont interrogés, leurs récits sont décortiqués et comparés. De nombreux documents sont collectés, traduits et analysés. Lorsque la CICRC est autorisée à le faire, elle envoie sur place une délégation chargée de visiter les camps et les prisons. Dans le cas contraire, elle se contente d’un travail sur dossiers et organise une sorte de procès au cours duquel un tribunal d’honneur est chargé, comme c’est le cas pour l’URSS et pour la Chine, d’établir l’état des connaissances sur le système mis en cause, en statuant notamment sur son caractère « concentrationnaire » (ou non). Au terme de l’enquête, la CICRC publie ses conclusions, sous la forme de « livres blancs », et participe en tant qu’organisme consultatif aux travaux du Conseil économique et social de l’ONU. Enfin, à partir de 1954, le Bulktin d’information (qui devient en 1956 la revue Saturne) élargit le champ d’activité de la CICRC : parallèlement aux enquêtes ponctuelles, la CICRC étend ses investigations à des sujets plus vastes que les seuls camps de concentration. Elle cherche alors dénoncer les atteintes aux droits de l’homme à travers le monde.