EPAIN Jean-Baptiste, La bibliothèque, le maire et le conservateur. Usages politiques de la culture à Saint-Denis 1886 – 1935, (Emmanuel Bellanger – Isabelle Lespinet – Moret), Univ. Paris 1 CHS, 2020.
Les collections patrimoniales de la bibliothèque du Centre-Ville de Saint-Denis possèdent un important fonds consacré à la Commune de Paris. Ce fonds trouve son origine dans une exposition sur la Commune de Paris ayant eu lieu sur place en 1935. Elle fut la première dans son genre en France. L’acquisition de documents relatifs à la Commune de Paris par le Musée-bibliothèque municipal de Saint-Denis peut s’expliquer par la forte polarisation politique de la ville pendant l’entre-deux-guerres : communiste depuis 1919, Saint-Denis, centralité de la Seine-Banlieue, située au cœur du bassin industriel parisien, est baptisée « la forteresse rouge ». Pour autant, la constitution de ces collections ne saurait traduire la simple mainmise de pouvoir municipal sur les institutions culturelles de la ville, faisant de la bibliothèque une « couronne extérieure » de la mairie communiste. En premier lieu parce que l’exposition de la Commune est le fait d’un conservateur issu de l’école des chartes, André Barroux, qui s’inscrit dans une tradition ancienne d’historiographie des moments révolutionnaires. En second lieu parce qu’au delà des apparences, la polarisation communiste des fonds de la bibliothèque et des thèmes d’exposition du musée n’est que la continuation d’une série de politiques menées autour du livre et de la lecture auprès des publics ouvriers de Saint-Denis depuis les années 1880. De multiples acteurs (dont font partie les municipalités successives, mais aussi le pouvoir religieux local, les instituteurs, les associations philanthropiques), ont tour à tour œuvré par la promotion de la lecture à la pacification sociale des masses laborieuses, à leur intégration, à leur émancipation ou à leur mobilisation, assignant au livre et à la lecture des fonctions de transformation sociale et politique. Pour la bibliothèque puis pour le musée municipal, une dynastie de chartiste également joué un rôle déterminant : Fernand Bournon (1886-1996), Frédéric Duval (1905-1916), André Barroux (1921-1944). En relation constante avec les institutions nationales, ces trois hommes se sont adaptés aux pouvoirs édilitaires successifs pour développer l’institution dont ils avaient la charge, tout en s’efforçant d’ancrer la population dionysienne dans les valeurs de la République, tantôt contre l’influence de l’Église, tantôt contre celle du bolchévisme. La politique des élus communistes se traduit en conséquence sur deux registres distincts mais concomitants : un registre rhétorique radical, prônant par une rupture révolutionnaire de faire « table rase du passé » ; un registre d’action pragmatique qui se traduit au niveau culturel municipal par le recours à l’expertise de bibliothécaires parisiens, le renforcement des pratiques républicaines et la poursuite des politiques d’éducation populaire amorcées depuis les années 1850.