Deux vies, une éthique : Dominique et Jean­-Toussaint Desanti

TRESPEUCH Anna, Deux vies, une éthique : Dominique et Jean­Toussaint Desanti, Maîtrise [Pascal Ory], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1999, 397 p.

Depuis la fin des armées trente, Dominique et Jean-Toussaint Desanti sont acteurs à temps plein de la vie intellectuelle française. Mais leur parcours est aussi chaotique que le XXe siècle dont ils ont choisi d’épouser les espoirs les plus fous comme les désillusions les plus douloureuses.

Nés respectivement en 1919 et en 1914, ils se rencontrent à la rue d’Ulm en pleine montée des périls fascistes. Cette lycéenne aux origines russes, fascinée par les surréalistes et ce normalien corse philosophe — et mathématicien à ses heures perdues — sont révolutionnaires dans l’âme…

Un an après leur mariage, la guerre les plonge dans l’inacceptable. Dès le retour du front, avec un groupe d’amis — dont Jean-Paul Sartre —, ils résistent à l’occupant. Mais c’est au sein des réseaux communistes de Résistance, à partir de 1943, que leur action devient déterminante. À la Libération, gonflés par l’espoir de changer le monde et convaincus que seul le Parti communiste en les moyens, ils l’adoptent comme une nouvelle famille. Pour en être dignes, ils redoublent d’ardeur à tuer en eux le « vieil homme ». Ainsi le philosophe se fait un devoir de problématiser l’application du Jdanovisme aux sciences exactes. Dominique met ses talents litté­raires au service du Parti : la journaliste condamne le titisme, justifie les procès à l’Est, mais en 1956, le rapport Khrouchtchev est le déclic qui leur fait prendre conscience que leur identité d’intellectuels est en danger : ils décident d’assumer la rupture avec ce « parti pas comme les autres ». Le couple entreprend alors sa traversée du désert : il faut se reconstruire un univers social, professionnel et surtout une dignité intellectuelle. C’est durant cette période qu’ils élaborent une éthique sur mesure : ils continuent d’exprimer la révolte contre ce que d’autres acceptent avec pragmatisme. Ainsi Dominique s’engage dans le tiers-mondisme puis dans le féminisme ; Jean-Toussaint suit ses étudiants sur les barricades de Mai 1968. Mais désormais, l’engagement s’appuie sur une idéologie toute personnelle. À travers les ouvrages historiques et les romans de Dominique, transparait une soif de décrypter les mécanismes de ce siècle. La philosophie de Jean-Toussamt, en dehors de son apport fondamental à l’épistémologie des mathématiques, s’articule autour du seul projet qui lui semble essentiel : mettre en jeu tout son savoir. Chez l’intellectuel, l’équilibre entre le confort spéculatif et l’urgence de l’action est précaire, mais, ensemble, ils ont choisi de jouer les funambules — ou les « flambeurs », selon l’expression de Jean-Toussaint — jusqu’au bouc.