Biographie collective des anarchistes, 1871-1914,

ROISSARD Emmanuel, Biographie collective des anarchistes, 1871-1914, Maîtrise [Jean-Louis Robert], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1991, 135 p. + annexes

À partir du Dictionnaire Biographique du Mouvement Ouvrier (1879-1914) de Jean Maitron, on a relevé 777 anarchistes dont on a établi la biographie collective à l’aide, notamment, de l’instrument informatique. Voici comment se présente le corpus.

Le lieu de naissance de ces libertaires est sans grande surprise. La majorité des « anars » est issue de la France de l’Est, celle de l’industrialisation. Par ailleurs, deux grandes villes dominent : Lyon et Paris, chacune correspondant à une époque spécifique. On remarque, en effet, que la région lyonnaise est caractérisée par la présence de compagnons adultes, alors que les moins de trente ans sont d’abord parisiens.

La composition démographique du corpus révèle un certain équilibre puisque l’on compte environ un tiers d’adultes, un tiers de jeunes et un huitième d’anciens (un cinquième des biographies n’indiquant pas la date de naissance). L’âge a une incidence sur le comportement des compagnons : si l’univers professionnel des adultes de résume essentiellement à l’industrie en général et aux métiers du textile en particulier, les jeunes anarchistes se dispersent plus volontiers dans de nouveaux métiers industriels, voire dans le secteur tertiaire. L’incidence est encore nette pour leur attitude vis-à-vis du mouvement ouvrier et du syndicalisme : les adultes militent dans l’anarchie, mais montrent peu d’intérêt pour les organisations ouvrières, alors que leurs successeurs prennent des responsabilités dans le mouvement et se syndicalisent plus facilement.

L’approche professionnelle du corpus fut délicate en raison de l’extrême variété des situations. On constate que le mouvement anarchiste est lié au monde ouvrier, l’essentiel des libertaires travaillant dans l’industrie. Il est significatif que les quatre métiers phares des anarchistes engagés soient le textile, la métallurgie, les travaux publics et le bois. Cependant le mouvement recrute de façon plus large ; il est possible de trouver des anarchistes de profession libérale ! Quant aux paysans libertaires, ils ne sont que neuf. S’il est malaisé de discerner l’influence de la profession sur la position des compagnons (militant ou responsable ?), en revanche cette influence est certaine pour l’attitude face au syndicalisme : les anarchistes syndicalisés travaillent dans l’industrie, ce qui est parfaitement logique.

La dernière étude porte sur l’anarchisme et le syndicalisme. Alors qu’on trouve deux militants pour un responsable dans l’anarchisme, la proportion est inverse dans le syndicalisme : un militant pour deux responsables. La relation que l’anarchisme entretient avec le syndicalisme est complexe peut-être parce qu’elle est réduite. Il n’y a que 39 % de compagnons qui sont syndicalisés, et ces 39 % pour la plupart ne sont pas de véritables anarchistes, mais des assimilés ; c’est-à-dire la limite de l’entrisme des compagnons dans les syndicats.

L’ultime question au terme de cette analyse est de savoir si les caractères dégagés à propos de ces 777 anarchistes sont valables pour l’ensemble du mouvement libertaire français. À défaut de réponse nette, on peut postuler, malgré des distorsions, que l’image donnée est en grande partie fidèle.