JOURDAN Maxime, « Le Cri du Peuple », 22 février 1871-23 mai 1871, Maîtrise [Jean-Louis Robert, Michel Pigenet], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 2 vol. 174 p. + 103 p. d’annexes,
Le 21 février 1871, Jules Vallès fonde Le Cri du Peuple, quotidien exclusivement politique. Grand in-folio, le journal se vend au prix très populaire de cinq centimes et atteint rapidement le tirage considérable de 60 000 exemplaires. Composée de blanquistes et d’internationaux, la rédaction est hétéroclite. Ainsi, bien qu’il se proclame volontiers révolutionnaire, Le Cri du Peuple n’a pas une ligne politique bien circonscrite. Tel est d’ailleurs le souhait de Vallès, qui n est pas un théoricien de la Révolution. Toutefois, Le Cri du Peuple est farouchement républicain. Redoutant à la suite des élections légisfatives du 8 février, une restauration monarchique, il souhaite que la République soit décrétée inaliénable et qu’elle soit véritablement démocratique. Le journal est aussi passionnément patriote. Son patriotisme est attisé par la toute fraîche défaite française contre la Prusse. Nonobstant, il demeure réfléchi et s’ouvre à une certaine forme d’internationalisme. Enfin, Le Cri du Peuple est socialiste révolutionnaire. Son socialisme est un savant mélange de vieux thèmes sans-culottes (haine des « gros » et des privilégiés) et de propos préfigurant le socialisme moderne (réflexions sur origines de l’exploitation capitaliste). Néanmoins, il récuse la lutte des classes. Le Cri du Peuple se définit essentiellement négativement. Il flétrit tous ceux qu’il tient pour responsables de l’entrée en guerre et de la défaite (l’Empire, le gouvernement de la Défense nationale, le gouvernement Thiers). Ses attaques incessantes et son ton virulent indisposent les autorités qui, le 11 mars, ordonnent sa suppression.
Mais Le Cri du Peuple renaît avec l’insurrection du 18 mars. Il s’engage alors dans le mouvement communaliste et tire régulièrement à 100 000 exemplaires. Il fait en la personne de Pierre Denis une nouvelle et précieuse recrue. Militant et idéologue, Pierre Denis marque le journal de son sceau et l’infléchit en un sens proudhonien, fédéraliste et anti-autoritaire. Il rédige tous les articles théoriques, dans lesquels il prêche la fédération des communes autonomes et la réalisation du self-government. C’est à lui qu’est confiée la direction du quotidien après le 18 avril, date à laquelle Vallès cesse d’écrire. Le 1er mai, la Commune se divise sur la question de la création d’un Comité de Salut public auxpouvoirs aussi étendus que mal définis. Hostile à toute forme de dictature, Le Cri du Peuple soutient la minorité de la Commune qui réprouve une telle institution.
Le conflit contre Versailles bouleverse la physionomie du journal. Occupés par diverses fonctions, les rédacteurs ne trouvent pas toujours le temps d’écrire. Partant, les articles se raréfient et cèdent le pas aux nouvelles de guerre. Alors que toutes les tentatives de médiation échouent, Le Cri du Peuple s’ingénie à mener le camp parisien à la victoire en assaillant la Commune de ses recommandations, en l’exhortant à toujours plus d’audace et d’énergie. Il tente enfin de galvaniser l’élan révolutionnaire au moyen d’une ardente propagande présentant les Versaillais comme de vils réactionnaires, des factieux, des tyrans, des hommes immoraux et barbares.
Le Cri du Peuple illustre magistralement la dialectique Pouvoir/Liberté, les choix cornéliens, les renoncements auxquels sont contraints les journalistes en période révolutionnaire.