L’immigration à Corbeil-Essonnes : itinéraires de femmes immigrées (1960-1980)

MUSSER Rémi, L’immigration à Corbeil-Essonnes : itinéraires de femmes immigrées (1960-1980), Maîtrise [Marie-Claude Blanc-Chaléard], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 201 p.

Ce travail a pour but de nous interroger sur l’histoire de l’immigration féminine des Trente Glorieuses dans le cadre de Corbeil-Essonnes, commune communiste de la banlieue parisienne, ancienne ville industrielle et ouvrière qui a attiré la population immigrée dès le XIX’ siècle. La femme immigrée a été une figure moins médiatique que celle de l’homme travailleur et ouvrier. Les femmes ont donc laissé moins de traces dans les sources écrites que leurs homologues masculins. C’est à travers des sources d’origine administrative, à savoir listes nominatives, enquêtes de police des dossiers de naturalisation, demandes de régularisation de situation déposées à la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales, et les témoignages de femmes immigrées de Corbeil-Essonnes, que nous avons tenté de mettre en évidence la place occupée par les femmes dans les migrations et dans la société d’accueil des années 1960 au début des années 1980. Notre réflexion s’articule autour de trois axes : le processus d’immigration, les conditions de vie de ces femmes et la question de l’intégration.

La problématique du genre nous a permis de montrer le fonctionnement de l’immigration des femmes longtemps considérées comme des « suiveuses ». Dès le lendemain de la guerre, des Italiennes, puis dans les années 1960-1970 des Espagnoles et des Portugaises, sont venues retrouver leur époque comme le prévoyait la politique d’immigration familiale. Mais cette politique a fonctionné de moins en moins et I’immigration féminine des européennes s’est organisée progressivement hors de tout contrôle. Une véritable immigration féminine de travail, autonome par rapport à celle des hommes existe pendant les Trente Glorieuses. Avec la politique de regroupement familial décidée à partir de 1976 on revient au principe de contrôle. C’est un flux essentiellement féminin d’origine maghrébine, décalé par rapport à celui des hommes, qui se met en place, fixant ainsi beaucoup de familles à Corbeil.

Une fois en France, les immigrées (re) prennent la place que leur octroie la division sexuée traditionnelle. Ainsi dans les années 1960-1970 la femme immigrée, européenne ou maghrébine, prend le visage de la mère de famille qui est une véritable gestionnaire du foyer qu’elle a en charge. Mais les femmes immigrées en majorité européennes ont été actives. Ouvrières et surtout domestiques et femmes de ménage, elles ont occupé une place précise sur le marché du travail, connaissant des conditions de travail précaires et des postes non qualifiés, qui sont aussi la réalité des immigrés pendant les Trente Glorieuses. Seules les filles venues jeunes s’orientent vers les secteurs du tertiaire, s’éloignant ainsi de l’image de l’immigrée et s’assimilant professionnellement. Cette assimilation relève de leur intégration à la société d’accueil, le plus souvent sous l’impulsion de leur mère.

La femme immigrée a en effet été investie d’un double rôle : celui de gardienne de la tradition et d’intégratrice pour ses enfants et sa famille. Jusqu’à la fin des années 1970, l’intégration des européennes — qui passe pour beaucoup par l’émancipation — s’effectue en douceur dans un contexte économique, social et spatial favorable. À la fin de la décennie 1970, la crise et la dégradation du contexte économique et social local ont des répercussions sur le processus d’intégration des immigrées venues avec le regroupement familial. C’est à ce moment-là qu’une action de proximité et de terrain est mise en place par les travailleurs sociaux en direction des femmes qui sont absentes en tant que telles des quelques mesures d’intégration prises par les pouvoirs publics dans les années 1960. Mais l’intégration a des limites, visibles notamment à travers la conservation des pratiques féminines pour les immigrées portugaises.