Les Temps modernes, 1977-1991, « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » René Char, Feuillets d’Hypnos

BÉRARD Jean, Les Temps modernes, 1977-1991, « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » René Char, Feuillets d’Hypnos, Maîtrise [Pascal Ory], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 176 p.

Une étude de la revue Les Temps modernes sur la période 1977-1991 renvoie à trois types d’interrogations, qui sont trois axes problématiques. Comment la revue fait-elle face à la maladie puis à la disparition de son fondateur et de son directeur emblématique, Jean-Paul Sartre ? Comment la revue réagit-elle en face du puissant mouvement qui pousse les intellectuels, au milieu des années 70, à opérer un retour critique sur leurs engagements passés, et, de manière exemplaire, sur leur adhésion au marxiste ? Enfin, compte tenu de ces deux éléments de rupture, que devient la revue dans les années 80 ? Quel type de réflexion développe-t-elle dans ce contex­te intellectuel nouveau ? Ces trois directions sont les trois moments de notre travail.

Le premier tente de cerner la manière dont s’opère la double succession, de Sartre en 1980, puis de Beauvoir en 1986. C’est Claude Lanzmann qui prend leur suite à la tête de la revue. Il est un intime du couple, et on comprend que, dès lors, la revue cherche à donner d’elle-même l’image de la continuité de sa vocation, dans le respect de l’inspiration et de la conception sartrienne de l’engagement.

Mais cette continuité ne résiste pas à l’analyse, et il apparaît que Les Temps modernes, de manière remarquablement synchrone avec le reste du paysage intellectuel français, négocient, au nom d’une critique du pouvoir, un virage radical et fondent sur de nouvelles bases leurs engagements politiques. Cela ne signifie pas que la revue renonce à ses centres d’intérêt (les femmes, le socialisme, les minorités, le Tiers-monde), mais qu’elle conçoit ses prises de position selon des critères nouveaux, qui ont pour noms droits de l’homme, liberté et citoyenneté. Mais la singularité la plus forte de la revue n’est pas là.

À la suite de Claude Lanzmann et de Shoah, Les Temps modernes ordonnent leur morale politique à partir de l’événement fondateur du génocide. L’Holocauste, outre un domaine d’étude et de recherche inlassablement exploré, devient le principe des positions de la revue. Dans un moment intellectuel marqué par le retour d’un universalisme humaniste, il est une figure historique du mal radical, et, à ce titre, une matrice de compréhension de ce qui fait la tragédie de notre siècle.