Les représentations de la Révolution française dans la presse d’extrême droite (1936-1939)

CHIRACHE Emmanuel, Les représentations de la Révolution française dans la presse d’extrême droite (1936-1939), Maîtrise [Jean-Louis Robert], Univ. Paris 1 CHS, 2003, 176 p.

De 1936, date où le Front populaire accède au pouvoir, à 1939, date du Cent-cinquantenaire de 1789, la Révolution est plus que d’actualité. Or, qui commente et fait l’actualité à cette époque si ce n’est la presse, et en particulier celle de l’extrême droite ? La masse des articles sur la Révolution, la fréquence des allusions à son égard, la richesse et la variété des opinions à son propos, dont regorge cette presse, offrent ainsi l’opportunité unique de saisir les contours d’une culture politique ambiguë. En confrontant leur discours à la Révolution, les journalistes d’extrême droite se trouvent en effet dans l’obligation d’affirmer leurs valeurs, de radicaliser leurs convictions, de dévoiler leurs hantises et leurs contradictions avec une crudité qu’ils ne soupçonnent pas. Ils croient ingénument faire l’histoire de la Révolution pour en dégager sa substance, ignorant que cette histoire est aussi un miroir, qui nous renvoie leur propre image. Sa pratique de l’histoire, la presse nationaliste la prétend qui plus est savante, donc neutre et apolitique, contrairement à la gauche, qui colporte la légende et les mythes de la Révolution, sans une once d’esprit critique. S’ils s’accordent sur l’idole à détruire, en revanche, nos journalistes se divisent sur les voies à emprunter, certains recommandant une histoire scientifique, dépassionnée, nuancée, d’autres, à l’inverse, prônant une histoire plus proche de la mémoire, plus engagée, d’un bloc. Une fois le mensonge qui entoure la Révolution levé, l’extrême droite doit s’atteler à une autre tâche : mettre à nu les sombres vérités qui constituent la trame du déroulement révolutionnaire. Selon elle, loin d’être l’insurrection spontanée de tout un peuple, le chaos révolutionnaire s’apparente davantage à une conspiration, au mieux à un engrenage d’intrigues, dont les acteurs sont changeants, franc-maçons, intellectuels frustrés, députés corrompus, Juifs, Jacobins, mais toujours médiocres, malintentionnés, envieux, haineux. Non pas heureuse, non pas douce, comme le voudraient les poncifs républicains, la Révolution est au contraire violente et belliciste par essence. La Terreur est sa fin, et la guerre son moyen. Des accusations lourdes de conséquences, dans le climat explosif de la fin des années trente, à l’heure où la droite redoute que l’antifascisme du Front populaire ne le mène à défendre, les armes à la main, le Frente popular, son voisin espagnol. En rupture totale — ou presque — avec un Ancien Régime largement idéalisé par les tenants de la droite radicale, la Révolution marque l’aube d’un temps nouveau, concèdent ces derniers à leurs adversaires démocrates ; seulement, le siècle et demi qui s’est écoulé depuis a moins l’allure d’une marche glorieuse vers le pays d’Utopie, que les traits d’une lente, mais sûre décadence nationale, se lamente-t-on dans Gringoire, Je suis partout et L’Action française. L’âpreté avec laquelle ces journaux défendent leur point de vue n’est pas gratuite, mais se justifie par la persistance du parti révolutionnaire en France, que les élections d’avril et mai 1936 ont porté à la tête de l’État, augurant du pire. Pour lutter contre ce funeste coup du sort, l’extrême droite n’a pas, ou peu, d’images contre-révolutionnaires à réactiver dans l’esprit des Français ; c’est par conséquent au nom de la liberté, de l’égalité, ou des Droits de l’homme, qu’elle va critiquer avec force et virulence la politique de Léon Blum. Paradoxalement, c’est au nom de la disparition de ces mêmes principes de 1789 dans une partie de l’Europe qu’elle condamne ensuite le Cent-cinquantenaire, en même temps qu’elle attend avec optimisme et patience la « divine surprise » de la fin du régime, qu’elle croit certaine. L’extrême droite française est dans la curieuse posture du révolutionnaire qui attend la Révolution.