L’art contemporain au bureau. Les collections d’art d’entreprise en France, 1967 à nos jours

ZACHARIAS Mélanie, L’art contemporain au bureau. Les collections d’art d’entreprise en France, 1967 à nos jours, Maîtrise [Pascal Ory], Univ, Paris 1, 2001, 219 p.

En France, l’art vivant a longtemps été négligé par les collectionneurs, même dans les collections publiques. Ce sont les années soixante qui ont amorcé la nais­sance des collections d’art contemporain réunies par des entreprises. À ne pas confondre avec les simples acquisitions d’œuvres d’art, une collection d’entreprise est une initiative patronale, prise en charge par un département spécifique dans l’entreprise, qui vise à constituer un ensemble esthétique cohérent d’art contemporain, et de qualité suffisante pour être susceptible de figurer à terme dans un musée. Seize collections françaises correspondent à cette définition, la première étant celle de Renault (1967) et la dernière celle de la Fondation d’entreprise NSM-Vie pour la photographie contemporaine (1997). Malgré le succès que cette formule connaît auprès des entreprises depuis 1967, aucune étude n’a posé de définition et n’en a écrit l’histoire. Le présent travail vise donc à dégager les évolutions du phénomène des collections d’entreprise sur la totalité de leur période d’existence, à partir d’une sélection de huit collections : Renault, SACEM, Fondation Cartier, Caisse des Dépôts et consignations, Vacances Bleues, Fondation d’entreprise Colas, Société Générale et Première Heure. Le plan thématique a été privilégié pour traiter ce sujet récent et comparatif.      ,

Les collections d’entreprise sont apparues il y a une trentaine d’années, l’État ne s’étant engagé en faveur del’art contemporain qu’à la fin des années soixante. Mises à part Renault et la SACEM le grand mouvement de création des collections d’entreprise n’a commencé que dans les années quatre-vingt, alors que le mécénat d’entreprise ­commence à se développer. Le gouvernement a mis en place des mesures d’incitation à l’attention des entreprises, dont deux concernent directement l’acquisition d’œuvres : la déduction des achats sur l’impôt des sociétés (loi du juillet 1987) et la création des fondations d’entreprise (loi de juillet 1990). Malgré cela, seulement seize collections ont été créées en France depuis 1967. Cela est très faible par rapport aux collections publiques, mais aussi en regard aux pays étrangers. Cette situation s’explique par la faiblesse de la philanthropie privée dans notre pays, avant même l’insuffisance des mesures juridiques et fiscales. Ces collections ont aussi vu le jour grâce aux évolutions qu’ont connues les entreprises dès les années soixante-dix. Le marché devient plus compétitif, et la concurrence entre les firmes les mène à repenser leurs politiques d’image, puis, au début des années quatre-vingt-dix, apparaît la notion d’« entreprise citoyenne », préoccupation nouvelle que cette dernière développe pour son environnement extérieur, notamment en soutenant les artistes contemporains.

Les collections d’entreprise ont toutes connu des évolutions similaires. La poli­tique d’achat suivie par les entreprises s’est organisé progressivement, certaines étant allées jusqu’à les inscrire dans une fondation, d’entreprise ou sous l’égide de la Fondation de France. En véritables mécènes, les firmes bâtissent au fil des années leur propre manière de prospecter sur le marché de l’art. Pourtant, après vingt ans d’existence, les budgets dévolus aux collections demeurent très modestes. Leur gestion s’est aussi modifiée et professionnalisée dans la durée, par l’appel à un personnel de conservation spécialisé. Cela a permis aux achats d’abord ponctuels de devenir de véritables collections, en adoptant une ligne de conduite de plus en plus précise. Le cadre des entreprises est une contrainte en soi, car il n’est pas destiné à recevoir des œuvres. Malgré la tentative de quelques sociétés de doter leurs collections d’un statut juridique, la plupart n’en possèdent pas.

L’étude de la réception de ces collections fait apparaître qu’il a fallu de nombreuses années d’efforts et de programmes pédagogiques pour que les entreprises parviennent à faire évoluer les regards très souvent critiques de leurs employés sur ces œuvres difficiles. Très récemment, elles sont finalement entrées dans la culture d’entreprise. Quant à la réception par le grand public, elle ne date que du début des années quatre-vingt-dix.

Les collections d’entreprises sont arrivées en France comme un nouveau contre­poids théorique aux collections publiques, prédominantes. Le phénomène s’est développé et structuré en trente ans, mais demeure mineur en regard aux collections publiques. Cela s’explique par plusieurs de leurs caractéristiques, qui demandent à évoluer davantage. Leur problème majeur est leur fragilité due à leur dépendance, à la conjoncture des entreprises, tandis que les collections publiques sont inaliénables.