La spiritualité conjugale et familiale à la lumière de l’Anneau d’or (1945-1967)

CUCHET Guillaume, La spiritualité conjugale et familiale à la lumière de l’Anneau d’or (1945-1967), Maîtrise [Antoine Prost], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1995

La spiritualité conjugale et familiale catholique est un chapitre de l’histoire des mentalités religieuses qui s’ouvre dans l’entre-deux-guerres. Il trouve sa consécration dans les colonnes de L’Anneau d’or, de la date de sa création par l’abbé Caffarel en 1945 à celle de sa disparition, au lendemain de Vatican II, en 1967. Nous avons cherché à comprendre les raisons et les modalités de l’émergence de ce discours d’un genre nouveau, concernant le couple, la famille et l’amour humain. Pour ce faire, nous avons élargi notre champ de recherche à l’entre-deux-guerres.

L’histoire de cette nouvelle spiritualité recoupe largement celle d’une génération de catholiques audacieux, mariés dans les années trente, formés dans les mouvements de jeunesse (scoutisme ou Action catholique) et soucieux, dans le cadre conjugal, de poursuivre une vie spirituelle profonde. Or, dans les années vingt encore, rien n’est moins évident. Le mariage chrétien est certes un sacrement, mais il n’est encore justifié, de près ou de loin, que par la procréation et l’éducation. Cette « génération graciée » ne saurait plus se contenter d’une telle infrastructure idéologique. Elle revendique beaucoup plus qu’une simple chance de faire son salut ici-bas : elle cherche une sainteté du mariage, dans et par le mariage.

Pour étayer ses justes prétentions, elle s’efforce de montrer que l’union d’un homme et d’une femme, sanctifiée par le sacrement du mariage, est l’image fidèle de l’union du Christ et de son Église. Elle légitime ainsi l’existence d’une véritable mystique conjugale, très éloignée des considérations moralisantes et sociologiques qui constituaient, jusque-là, le plus clair du discours de l’Église sur la famille. En outre, elle propose une alternative à la sainteté de type monastique.

Cette histoire de la théorie du mariage chrétien a son importance — elle est même décisive — mais on apprécierait mal la rupture qu’elle représente si on ne l’analysait pas au regard d’une histoire sociale, celle de l’émergence du couple au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La génération — Anneau d’or — s’est mariée plus librement que celle de ses parents : elle célèbre le triomphe du mariage d’inclination sur celui de présentation en milieux aisés. Aussi a-t-elle été tout naturellement portée à faire de son amour quelque chose d’essentiel, une image de l’amour divin. Le centre de gravité du mariage chrétien s’est déplacé de la famille au couple lui-même. De ce déplacement découle toute une série de conséquences quant à la sexualité, l’éducation des enfants, les relations entre époux, etc.

Plus que de rupture dans la théorie du mariage chrétien, sans doute est-il plus juste de parler de transformation. L’abbé Caffarel et ses disciples, relayés par les équipes Notre-Dame, ont procédé à une réorganisation du discours. L’essentiel, c’est désormais la « mystique conjugale ». Les développements théologiques, moraux et sociologiques doivent être subordonnés à ce principe qui leur donne sens. Seul cet équilibre théorique est à même de déboucher sur un véritable équilibre pratique, c’est-à-dire un « vrai mariage chrétien ». Si L’Anneau d’or disparaît au lendemain de Vatican II, c’est aussi parce qu’en vingt ans la société française a beaucoup changé et qu’aux yeux de l’abbé Caffarel, le dialogue de ces deux équilibres est sérieusement compromis.