Filles de justice

Françoise Tétard et Claire Dumas, Filles de justice. Du Bon Pasteur à l’Éducation surveillée (XIXe-XXe siècles), Beauchesne-ENPJJ, 2009, 483 p.

Depuis deux siècles, elles ont été sans cesse transférées de prisons en quartiers correctionnels, de maisons pénitentiaires en écoles de préservation. Confinées derrière une clôture. Qui sont-elles ? Qu’ont-elles fait ? Des mineures qui, pour diverses raisons, sont passées devant un juge. Elles ne sont pas forcément délinquantes, mais elles seraient susceptibles de l’être ; elles ne sont pas forcément prostituées, mais elles seraient au bord de l’être. Toujours considérées comme difficiles, voire vicieuses.

L’État se sentant impuissant s’est déchargé sur les congrégations religieuses et leur a « confié » la rééducation de ces filles, sous forme d’une mission de service public. La congrégation Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur d’Angers, déjà spécialisée dans les filles perdues, a ainsi acquis un monopole. Contre des prix de journée versés par l’État, elle les a reçues au milieu des autres femmes et adolescentes, pensionnaires de tous âges. Cette situation a perduré sous la Troisième République, au moment du vote des lois de 1901 et de 1905, en plein conflit entre confessionnels et laïques. Un scandale cependant est venu éclabousser la réputation de la congrégation quand, à Nancy, l’évêque entra en conflit avec la supérieure ; il s’en suivit un procès qui se solda par la fermeture en 1903 du Bon Pasteur de la ville. Cet ouvrage a pour fil conducteur l’histoire d’un de ces établissements, ouvert en 1839, à Bourges (Cher). Un hectare, en plein centre ville, un îlot hors du temps. En 1966, une mère supérieure éclairée commençait à moderniser la maison lorsqu’elle reçut l’ordre de procéder à la vente du patrimoine. L’acquéreur en fut le ministère de la Justice qui cherchait un lieu idéal pour expérimenter des pédagogies auprès des filles dans le secteur public. Comment s’est réalisé ce passage du monde religieux à la culture laïque ? D’autres établissements du Bon Pasteur ont subi le même sort et, à partir des années 1960, ont progressivement lâché ce qui constituait leur identité. Pourquoi, après avoir résisté si longtemps ?