SÉVÉRINI Orsola, Étude comparative du vocabulaire du PCF et du PC [en 1947 à travers les éditoriaux de l’Humanité et de l’Unita, Maîtrise [Denis Peschanski, Jean-Louis Robert], Univ. Paris 1 CHS, 2003, 151 p.
L’objet de cette étude n’est pas de comparer les stratégies du PCF et de son homologue italien, mais d’étudier les évolutions, les similitudes et les dissemblances du vocabulaire qu’ils emploient. Plus précisément, il s’agit ici d’étudier le discours des deux partis communistes tel qu’il apparaît dans les deux journaux officiels de chaque parti. En effet, les sous-titres de l’Humanité et de l’Unità sont « organe central du Parti Communiste Français » d’une part, et « Organo del Partito Comunista Italiano » d’autre part. Il s’agit donc de bien plus que de journaux d’opinion, mais de véritables porte-parole de leur parti, où s’exprime la ligne politique de celui-ci ainsi que sa position sur les différentes questions d’actualité. Ce rapport à l’actualité est d’autant plus important qu’il s’agit de quotidiens. Nous verrons d’ailleurs que les journalistes sont des membres dirigeants de leur parti, parfois très influents. Il faut aussi tenir compte du fait que le discours communiste, tel qu’il apparaît dans L’Humanité et l’Unità, est un discours public, destiné aux membres et aux sympathisants du parti. Par conséquent, si cette étude peut mettre en lumière des éléments de la stratégie des deux partis, il ne pourra s’agir que d’éléments que le parti veut délibérément faire transparaître. Les différentes études des archives soviétiques et des partis communistes qui se sont multipliées à partir des années 1990 ont montré que le discours interne communiste peut parfois s’opposer diamétralement à son discours public. Parmi les nombreux articles qui composent les deux publications, j’ai choisi d’étudier l’éditorial. Un éditorial est un article où s’exprime la position prise par la rédaction du journal sur les différents sujets d’actualité. On peut donc le différencier des autres articles, car il ne se contente pas de relater ou de décrire un événement, mais il apporte une réelle réflexion et un point de vue sur le sujet en question. Même si dans le cas de l’Humanité et de l’Unità, il est plus difficile de distinguer l’éditorial des autres articles, qui expriment tous le point de vue communiste, celui qui ressemble le plus à la définition d’éditorial se situe à la première colonne à la gauche de la Une dans les deux cas. L’année 1947 est souvent présentée comme une année charnière au cours de laquelle les deux grands vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale basculent de l’alliance à l’affrontement qui se traduit par la guerre froide. En effet, de l’échec de la conférence de Moscou en mars à la naissance du Kominform en septembre, en passant par le plan Marshall, la situation internationale est de plus en plus tendue. La formation de deux blocs comprenant chacun son aire d’influence se précise. Il est cependant difficile de donner une date précise à ce tournant, le débat historiographique étant encore ouvert à ce sujet. Cette évolution a des répercussions au niveau national au centre desquelles les partis communistes jouent forcément un rôle majeur. Leur position est plus facile et plus claire en Europe orientale, mais il en va autrement dans les pays, comme la France et l’Italie, qui ont été libérés par les forces anglo-américaines. Si nous avons choisi de nous intéresser au PCI et au PCF, c’est que les deux partis connaissent des parcours semblables de part et d’autre des Alpes. En effet en janvier ils sont tous deux au gouvernement, ayant reçu plus de 20 % des suffrages, et forment une alliance tripartite avec le parti socialiste et le MRP en France, et la Démocratie Chrétienne en Italie. En mai, ils sont tous deux exclus de leur gouvernement respectif et, enfin, ce sont les deux seuls partis communistes de l’Europe occidentale à participer à la conférence constitutive du Kominform en septembre. De même, leur stratégie, fortement dépendante de Moscou est très proche. Plusieurs historiens se sont demandé les raisons pour lesquelles ces deux partis étaient si importants dans des pays libérés par les Alliés. Marc Lazar estime que ceci est dû au rôle que la Résistance a joué en France comme en Italie et au fait que dans les deux cas il y a eu une refondation de l’État à la suite du conflit. Cependant, si de nombreux éléments permettent de rapprocher le PCI et le PCF en 1947, il ne faut pas pour autant faire abstraction des nombreuses dissemblances. En effet, la France est du côté des vainqueurs et dispose à ce titre d’une zone d’occupation en Allemagne et d’un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies, alors que l’Italie se situe du côté des vaincus au même titre que les autres anciens alliés de l’Allemagne nazie. De plus, si certes, il y a eu refondation de l’État dans les deux cas, pour la toute jeune République italienne, il s’agit d’un véritable apprentissage démocratique après vingt ans de régime fasciste. Alors que, bien qu’ébranlée par le régime de Vichy, la République française dispose de bases bien plus solides. De même, certains aspects sont propres à chaque pays : la France dispose d’un Empire colonial alors que ce n’est pas le cas en Italie ; le poids de l’Église catholique et du Vatican est très fort en Italie alors que la France est beaucoup plus laïque ; en outre, les disparités sociales sont beaucoup plus fortes en Italie qu’en France. En ce qui concerne les partis communistes, le PCF a déjà fait partie d’une coalition gouvernementale (bien que n’ayant pas directement participé au gouvernement) en 1936, alors que pour le PCI il s’agit d’une grande première. De même, les rapports avec les autres formations politiques ne sont pas les mêmes, en particulier en ce qui concerne le parti socialiste. Du point de vue bibliographique, outre la grande quantité de travaux consacrés au communisme, il existe plusieurs ouvrages mettant en parallèle le PCI et le PCF dans la période qui nous intéresse ici. On peut notamment citer du côté français, Maisons Rouges de Marc Lazar et, du côté italien, le livre de Elena Aga-Rossi et Giacomo Quagliarello, l’Altra faccia della luna. De même qu’il existe une importante bibliographie consacrée à l’année 1947, en tant que commencement de la guerre froide. Enfin, Denis Peschanski, dans Et pourtant ils tournent, effectue une analyse du vocabulaire du PCF à travers les éditoriaux de l’Humanité, mais pour la période 1934-1936. Mais il n’existe à notre connaissance, aucune étude qui, rassemblant ces différents éléments, mette en parallèle le vocabulaire de l’Humanité et de l’Unità.