Des émigrés russes ouvriers aux Usines Renault de Boulogne-Billancourt en 1926 : étude du fichier du personnel

LE GUILLOU Olivier, Des émigrés russes ouvriers aux Usines Renault de Boulogne-Billancourt en 1926 : étude du fichier du personnel, Maîtrise [Pierre Milza, Antoine Prost, Jean-Louis Robert], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1988, 301 p. + annexes, graphiques

La condition précaire dans laquelle se trouvaient généralement les émigrés russes venus en France à la suite de la Révolution de 1917 les poussa souvent à travailler en usine : beaucoup devinrent ouvriers dans l’industrie automobile de la région parisienne, particulièrement aux Usines Renault de Boulogne-Billancourt. Nous avons étudié un échantillon de ces Russes (soit les 602 Russes entrés chez Renault au premier trimestre de 1926), par le traitement informatique des renseignements fournis par leurs fiches d’ouvriers conservées dans le fichier du personnel de Renault. Ces Russes sont pour la quasi-totalité des hommes, leur âge moyen en janvier 1926 est de 31 ans, les célibataires sont la grande majorité. Ils sont nés, pour les deux tiers, dans le sud de la partie européenne de l’Empire russe (Ukraine et provinces « cosaques »). Les provinces européennes du centre et du nord ne regroupent qu’un gros quart de ces lieux de naissance.

L’étude du parcours en France de ces Russes avant leur entrée chez Renault révèle des traits propres à une population ouvrière (emploi dans des entreprises industrielles à des travaux peu qualifiés, souvent dans des départements de la moitié nord du pays), de même que la carte de leur habitat dans la région parisienne au début de 1926 (concentration dans des localités « ouvrières » : d’abord Boulogne-Billancourt, puis le XVe arrondissement, etc.). Sur ces deux points, interviennent donc des différences avec l’ensemble de l’émigration russe, qui combine cet aspect ouvrier avec les particularités de catégories plus favorisées dans leur vie en France.

L’étude du travail chez Renault relativise tout d’abord le « parcours ouvrier » de ces Russes dans la France des années 1920, des résultats laissant penser à un manque d’intégration au travail commencé dans le premier trimestre de 1926, voire à un rejet de ce travail (séjours assez brefs, départs le plus souvent volontaires, faible qualification). Mais ceci est à nuancer pour des groupes minoritaires (notamment pour les Russes ayant retravaillé chez Renault) pour lesquels des indices suggèrent une certaine adaptation à ce travail (séjour plus long à l’usine, légère progression des qualifications). Dès lors, la nécessité d’effectuer des différenciations à l’intérieur de cet échantillon nous a conduits à étudier l’influence de l’origine géographique, en la croisant avec certaines variables vues précédemment : les résultats obtenus individualisent le groupe des « Cosaques » qui semble se placer encore plus que les deux autres groupes (Ukrainiens, Russes du centre et du nord) dans un cadre ouvrier (concentration accrue à Boulogne-Billancourt, moins de départs très rapides de chez Renault, retours dans cette usine plus fréquents).

Cette étude nous a donc permis de poser les bases descriptives pour un examen plus large du parcours dans la société française des Russes ayant travaillé chez Renault, examen qui devrait préciser le rôle de l’étape que représente ce travail et avec d’autres sourc.es, éclaircir tant l’amont (origine sociale dans l’Empire russe) que l’aval (mobilité sociale de ces Russes et de leurs enfants) de cette étape