Henri Queuille et le parlementarisme de la IVe République

BROQUET Stéphane, Henri Queuille et le parlementarisme de la IVe République, Maîtrise [Pascal Ory, Michel Dreyfus], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 354 p.

Trente-deux ans après sa mort les Français se souviennent peu d’Henri Queuille. Il n’est pas considéré comme une des personnalités marquantes de la vie politique française. Seul son record de portefeuilles à la rue de Varenne reste encore dans les mémoires. Ses trois présidences du Conseil sont inconnues du grand public. Présent à la tête du Gouvernement pendant 16 mois et 29 jours, il est pourtant moins connu que Pierre Mendès France qui n’y est resté que 7 mois et 27 jours.

Pourtant les réalisations d’Henri Queuille sous la IIIe comme sous la IVe République ont été déterminantes. Son action est marquée par de grands thèmes qui apparaissent comme des leitmotivs dans sa carrière politique : défense des institutions républicaines en période de crise, restauration de l’autorité de l’État et maintien de l’ordre public pendant les grèves, politique agricole européenne, défense du franc et rétablissement des équilibres économiques, aménagement du territoire et primauté de l’intérêt général sur l’intérêt partisan ou électoral.

Henri Queuille est en effet un parlementaire très actif même s’il reste dans l’ombre des grands ténors du Parti radical. Entré au gouvernement pour la première fois à l’âge de 35 ans en 1920, il devient le « recordman de porte­feuilles ». Refusant de voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, Henri Queuille rejoint de Gaulle à Londres en 1943 et obtient la présidence par intérim du gouvernement provisoire de la République française, remplaçant de Gaulle lors de ses voyages et préparant la nouvelle Constitution.

Il parvient au faîte du pouvoir en septembre 1948 à un moment où la IVe République semble vouée à la disparition, attaquée à Gauche par le Parti communiste et à Droite par le Général de Gaulle. Il sauve ainsi provisoirement le régime. Au cours des treize mois de l’« Année Queuille », record de longévité gouvernementale à l’époque, il réussit à rétablir la confiance, juguler une inflation galopante, lever l’hypothèque communiste en faisant face, avec courage et sang-froid, à des grèves quasi insurrectionnelles et provoquer enfin un retournement dans lequel s’enlisera le défi gaulliste. Son second Ministère prouve que le « contrat » entre les membres de la majorité ne peut être rompu impunément. Enfin, le troisième Ministère Queuille surmonte pacifiquement les difficultés sociales posées par les remous économiques de la Guerre de Corée. Finalement il accélère le vote de la loi électorale et la convocation des électeurs.

Ce mémoire a pour ambition d’apporter des éléments de réponses à trois questions qui se posent au sujet de la vision et de l’action politique d’Henri Queuille sur le parlementarisme de la IVe République.

La première question porte sur la culture politique d’Henri Queuille issue de la IIIe République. De quelle manière l’expérience parlementaire et gouvernementale d’Henri Queuille a réussi à forger sa vision du parlementarisme ?

La seconde question est la suivante : la vision parlementaire d’Henri Queuille est-elle une vision originale, différente de celle de ses partenaires radicaux et des membres d’autres partis ? On peut se demander en quoi ses relations ont influencé sa manière de concevoir le parlementarisme. Nous nous efforçons également d’établir des comparaisons entre Henri Queuille, les communistes, les socialistes, le MRP, afin de distinguer leurs points de convergence ou d’opposition.

La dernière question concerne plus particulièrement la vision parlementaire d’Henn Queuille. Il s’agit de se demander s’il a une vision générale, globalisante, qui n’intègre pas seulement les questions purement institutionnelles et constitutionnelles, mais également sociales, financières, d’économies sectorielles. Il prouve ainsi à la fois son pragmatisme et son lien avec le terrain. Pourquoi ces qualités doivent-elles se retrouver selon lui chez l’élu local, le député ou le ministre ?