Histoire et mémoire de « L’Affiche rouge » (1944-1998) : symbole du combat des résistants immigrés de la MOI

BOISAUBERT Léa, Histoire et mémoire de « L’Affiche rouge » (1944-1998) : symbole du combat des résistants immigrés de la MOI, Maîtrise [Jean-Louis Robert], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 155 p. + 56 p. d’annexes

À la Libération, une mémoire dominante de la Seconde Guerre mon­diale s’est imposée, renvoyant au peuple français l’image d’une masse unie dans la résistance derrière son chef charismatique ou son parti d’avant-garde. Cette image imposait une « nationalisation » de la Résistance française, ne laissant guère de place aux particularismes. Pour les immigrés qui avaient fait le choix de l’intégration dans la société française, l’affirmation de leur différence ne pouvait être à l’ordre du jour. Dès lors, l’affiche de propagande allemande diffusée en février 1944, communément appelée « Affiche rouge », et illustrant le procès exemplaire de vingt-trois résistants immigrés appartenant à la MOI, reste le grand témoignage de la participation des immigrés dans le combat pour la libération de la France. Ainsi, paradoxalement une affiche de propagande allemande symbolisant la répression envers la Résistance, mais également le caractère résolument antisémite et xénophobe du régime nazi, devient progressivement le vecteur privilégié de transmission de la mémoire de ces hommes et ces femmes.

En effet, si au moment de sa diffusion, « l’Affiche rouge » n’a certainement pas ou peu marquée l’opinion publique de l’époque, son image s’est tout de même ancrée progressivement dans la mémoire collective grâce à différents vecteurs de transmission. C’est donc autour des hommes qu’elle incarne et particulièrement autour de la figure de Missak Manouchian, que se focalise pendant des années la mémoire des résistants immigrés. Loin d’être totalement oubliée, la mémoire des « vingt-trois » reste malgré tout confidentielle pendant près de quarante ans. Le PCF n’attribue en effet à cette dernière qu’une place marginale dans l’exaltation de sa mémoire résistante, instrumentalisant l’Affiche et les résistants immigrés de la MOI au gré de divers conflits idéologiques. Une commémoration annuelle en l’honneur des « vingt-trois » sert toutefois de fil conducteur dans la transmission d’une mémoire spécifique de la Résistance française. Mais cette mémoire est encore le fruit d’une fabrication aléatoire, sujette au refoulement et à la légende.

La véritable histoire de ces hommes incarnée par « L’Affiche rouge » reste totalement ignorée du grand public pendant des années. C’est le déclenchement d’une vaste polémique autour de la diffusion d’un docu­mentaire en 1985 qui engendre une rupture certaine dans la manière d’aborder l’histoire et la mémoire de ces résistants. Cette polémique permet dans un premier temps de faire éclater au grand jour une mémoire, jusque ­là confidentielle. L’opinion découvre ainsi l’existence d’une structure spéci­fique de la Résistance communiste : la MOI. Dans un deuxième temps, la focalisation de cette affaire sur l’arrestation massive de novembre 1943, à l’origine du procès des « vingt-trois », incite les chercheurs à s’intéresser à ce terrain vierge de l’histoire de la Résistance. L’avancée historiographique résultant de cette initiative permet alors de transmettre une mémoire des résistants FTP-MOI de la région parisienne plus conforme à la vérité historique et d’influencer quelques années plus tard l’enseignement de la Résistance dans le cadre du système scolaire. En effet, avec le changement de programme de 1995, « L’Affiche rouge » apparaît pour la première fois dans les manuels scolaires, permettant ainsi d’élargir la transmission de cette mémoire aux jeunes générations. Enfin en 1998, le thème du concours national de la Résistance et de la déportation est consacré pour la première fois, depuis sa création en 1964, aux étrangers dans la Résistance.