La grève de l’entreprise Penarroya de Lyon-Gerland du 9 février au 11 mars 1972 : une grève « significative » mythe ou réalité ?

MADEC Yohan, La grève de l’entreprise Penarroya de Lyon-Gerland du 9 février au 11 mars 1972 : une grève « significative » mythe ou réalité ?, Maîtrise [Antoine Prost, Franck Georgi], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1998, 235 p.

Les 105 travailleurs maghrébins de l’usine Penarroya, de Lyon-Gerland, se sont mis en grève illimitée le 9 février 1972, dans une stratégie commune avec deux autres raffineries de la société Penarroya, situées à Saint-Denis, et à Escaudœuvres. Composées à 95 % de travailleurs immigrés, leurs revendications sont axées sur les conditions de travail, les salaires, le logement, l’hygiène et la sécurité. La stratégie commune aux trois usines fait long feu, et les ouvriers de Lyon se trouvent seuls à occuper leur usine, devant les retraits successifs d’Escaudœuvres (impossible unité entre les travailleurs maghrébins et portugais) et de Saint-Denis (l’UL CGT ne soutenant pas le mouvement). Pourtant, après 31 jours de grève, les résultats obtenus sont particulièrement satisfaisants pour le logement et la sécurité. L’augmentation salariale ayant peu évolué par rapport à celle déjà accordée par la direction, lors de réunions effectuées pendant les mois de décembre et de janvier précédents (suite au premier cahier de revendications déposé le 27 décembre 1971).

Si les ouvriers ont pu négocier de tels compromis, ils le doivent d’abord à eux-mêmes, notamment par la présence d’ouvriers marocains déjà imprégnés des luttes ouvrières, et à l’organisation planifiée avant la grève, par un groupe de militants des Cahiers de Mai, assisté des permanents syndicaux de l’Union des Métaux CFDT. Cette préparation devait inverser le rapport de force en faveur des grévistes face à la multinationale que représentait la Penarroya. Une action de soutien fut engagée à ce titre, comportant un dossier d’information, un court métrage (reprenant le contenu du dossier précité), des liaisons avec le CDJA pour subvenir aux besoins alimentaires, et un comité de soutien afin de propager les revendications. Si l’organisation interne de la grève se veut démocratique et/ou collective, suivant les engagements prônés conjointement par les médiateurs du conflit (la FGM-CFDT et, les Cahiers de Mai), c’est surtout par l’impact du soutien populaire que cette grève est devenue la référence, traduisant l’émergence des travailleurs immigrés dans les conflits du travail. Car les revendications ont scandalisé l’opinion publique, par le relais de journaux contactés avant même le début du mouvement. L’objet des informations transmises et le traitement de celles-ci (notamment en comparant l’image moderniste que veut se donner Penarroya et les conditions de travail) ont eu pour effet de « populariser » le conflit au niveau national par le « scandale » que représentait un tel paradoxe et de telles conditions.

La grève de Penarroya est la première grande grève conduite essentiellement par des étrangers dans le cadre d’une entreprise et, paradoxalement, on peut émettre l’idée qu’elle en est aussi la dernière. Elle en devient un mythe, symbole du désir de reconnaissance des immigrés, impossible à reproduire et une réalité, prouvant qu’une grève de travailleurs immigrés est, avant d’être significative, dépendante d’éléments extérieurs.