Les bals clandestins, France deuxième guerre mondiale

Groupe de travail

Bal à Gosné, été 1944 – Source : Jean Couennault

Présentation

Entre les décrets de Georges Mandel des 20 et 24 mai 1940 et la circulaire du 30 avril 1945 d’Adrien Texier – ministre de l’Intérieur du Gouvernement provisoire – rétablissant « la liberté de la danse1 », les bals publics furent interdits en France. Une mesure qui dut bien peu aux Allemands, ces derniers interdisant dès août 1940 « les réunions et tous les cortèges et défilés2 » mais restituant aux autorités françaises le 2 mai 1941 « l’organisation de foires annuelles, fêtes populaires et festivités analogues3 ».

Si les dispositions prises pendant la « drôle de guerre » pouvaient s’expliquer en fonction d’impératifs militaires – crainte d’opérations aériennes contre des cibles civiles notamment – ces justifications n’eurent plus de raison d’être une fois les combats terminés. C’est bien sur des bases morales, l’expiation de la défaite, fruit de « l’esprit de jouissance4 », derrière lequel il n’est guère difficile de voir les conquêtes du Front populaire, que le gouvernement de Vichy construisit son argumentation. À la Libération, ce sont les souffrances subies, les prisonniers et déportés encore détenus en Allemagne et la poursuite des combats qui justifièrent le maintien de l’interdiction par le gouvernement du général de Gaulle, avec il est vrai un assouplissement en janvier 1945.

Dans un pays où la danse est devenue « un loisir de masse5 » dans l’entre deux guerres, et où le bal structure une part des sociabilités urbaine et rurale, une telle mise à l’index ne peut laisser indifférente la jeunesse. Elle y répond par l’organisation de bals clandestins, dans les bois, les champs, les locaux agricoles, les demeures inhabitées, les baraques de réfugiés et les arrière-salles des débits de boisson. Des bals réprimés avec beaucoup d’énergie par les préfets et leur bras armé, la gendarmerie en zone rurale, et la police dans les villes. Leurs procès verbaux constituent, avec les directives préfectorales, une source incontournable pour connaître leur histoire.

Ce phénomène est resté longtemps ignoré par les historiens, qui ne lui ont consacré que de rares allusions au fil de leurs ouvrages sur l’Occupation6. Des travaux récents – portant sur les Côtes-du-Nord, l’Indre-et-Loire, le Lot, et les recherches en cours, montrent pourtant qu’il impliqua un très grand nombre de jeunes gens, et que les préfets mirent beaucoup d’énergie et de moyens pour le combattre. Cette question fut même évoquée à deux reprises au conseil des ministres du Gouvernement provisoire.

Les bals clandestins ne relèvent donc pas de l’anecdote. Ils sont au confluent de l’histoire politique, sociale et culturelle et méritent un regard plus approfondi, de façon à leur donner leur juste place dans le tableau de la vie quotidienne des Français pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ce serait la raison d’être d’un groupe de travail qui pourrait explorer les pistes suivantes (liste non exhaustive) :

  • l’état des sources ;
  • le recensement des travaux sur cette question ;
  • la répartition des bals sur l’ensemble du territoire (zone libre, différentes zones occupées, Antilles, Algérie). Spécificités régionales, ou non. Un corpus cartographique devrait être constitué ;
  • le lien, ou l’absence de lien, avec les pratiques antérieures en matière de danse. Les participant/e/s, leurs pratiques musicales et chorégraphiques ;
  • l’intensité et les modalités de la répression ;
  • le positionnement de l’occupant ;
  • le positionnement des organisations de Résistance, avant et après la Libération ;
  • la caractérisation du phénomène ;
  • ses traces, ou leur absence, dans la mémoire collective, et selon quelles modalités.
  1. Archives Nationales, F1a 3607.
  2. Ordonnance du 28 août 1940, Journal Officiel contenant les ordonnances arrêtées par le Gouverneur militaire pour les territoires français occupés, n° 7, 16 septembre 1940.
  3. Archives départementales des Côtes-d’Armor, 2W136.
  4. Philippe Pétain, Appel du 20 juin 1940. Cf. Discours aux Français 17 juin 1940-20 août 1944, Édition établie par Jean-Claude Barbas, Paris, Albin Michel, 1989, p. 60.
  5. Sophie Jacotot, Entre deux guerres, entre deux rives, entre deux corps. Imaginaires et appropriations des danses de société des Amériques à Paris (1919-1939), Thèse de doctorat sous la direction de Pascal Ory, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 2008, p. 253.
  6. Jean-William Dereymez qualifie « d’anodine » l’interdiction des bals. Cf. « Une génération de la guerre ? », in Être jeune en France, 1939-1945, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 47.

Quelques éléments bibliographiques :

  • JENNINGS Éric T, « La dissidence aux Antilles », XXe siècle Revue d’histoire, N° 68, octobre-décembre 2000, p. 55-72.
  • MAROIS Édith, « Les bals clandestins pendant l’Occupation : l’exemple de la Touraine traversée par la ligne de démarcation », Bulletin de la Société archéologique de Touraine, Tome LIX, 2013, p. 305-318.
  • QUILLÉVÉRÉ Alain, Nous n’irons plus danser. Les bals clandestins dans les Côtes-du-Nord pendant la Seconde Guerre mondiale, mémoire de master 2, sous la direction de Denis Peschanski, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2012, 249 p.
    Ce mémoire a été publié sous le titre Bals clandestins pendant la Seconde Guerre mondiale, Morlaix, Skol Vreizh, 2014, 287 p.
  • SALADIN Erwan, La Nuit à Rennes sous l’Occupation, mémoire de maîtrise sous la direction de Luc Capdevila, Université de Haute-Bretagne Rennes 2, 2001, 210 p.
  • VERDET Anne, Le violon des autres. Un village et la musique, des années 30 aux années 70, L’Harmattan, 2010, 378 p. La logique du non consentement. Sa genèse, son affirmation sous l’Occupation, Presses universitaires de Rennes, 2014, 237 p.

Historique du groupe

Durant la Seconde Guerre mondiale, en France, de mai 1940 à avril 1945, les bals publics furent interdits, tant en zone occupée qu’en zone libre. Initiée par le dernier gouvernement de la Troisième République, renforcée par l’État français de Vichy, maintenue par le Gouvernement provisoire issu de la Résistance, cette réglementation d’exception dut bien peu aux Allemands, mais beaucoup à des considérations morales.

Dans un pays où, dans l’entre-deux-guerres, la fréquentation des bals et des dancings constituait sans doute, avec le cinéma, le loisir préféré des Français, cette interdiction n’empêcha pas la pratique des bals sur tout le territoire. Ils ont été réprimés par les forces de l’ordre, avec un zèle plus ou moins marqué, ce dont témoigne un corpus abondant de procès-verbaux de gendarmerie et de police.

Pendant longtemps ce sujet n’a été abordé que de façon anecdotique par les historiennes et historiens de la période. C’est à la suite d’études régionales parues au début des années 2010 qu’à l’initiative de Pascal Ory et Pascale Goetschel a été créé un groupe de recherche hébergé par le Centre d’histoire sociale des mondes contemporains ; il est coordonné par Alain Quillévéré.

Pluridisciplinaire, il regroupe des hommes et des femmes venues des mondes de l’histoire, de la sociologie, de l’ethnologie, des lettres, de la danse, des musées ou encore des archives. Il s’est donné pour objectifs d’appréhender la réalité du phénomène à travers ses lieux et ses acteurs, ses variations dans le temps et l’espace, et de mesurer les diverses formes de sa répression. En résumé, lui donner sa juste place dans la vie quotidienne d’un pays en guerre, puis occupé – d’abord partiellement – et progressivement libéré, départements d’outre-mer compris. Dans une perspective comparatiste, cette recherche vise aussi à connaître le statut de la danse publique dans les autres pays impliqués dans le second conflit mondial, qu’ils aient été occupés, alliés ou ennemis, et encore lors de la Grande Guerre.

Le groupe se réunit une à deux fois par an, au CHS, afin de faire un état des lieux des recherches en cours et déterminer les projets à venir.


Composition du groupe

En 2023, le groupe de recherche est composé de :

  • Bernard CARRÉ, Ancien bibliothécaire aux archives départementales des Côtes-d’Armor.
  • Nicolas CHARLES, Agrégé d’histoire et doctorant à l’Université Paris 1 Paris 1 Panthéon-Sorbonne (directeur Nicolas Offenstadt).
  • François GASNAULT, Conservateur du patrimoine, chercheur au laboratoire InVisu (uar 3103 CNRS-INHA).
  • Marie GLON, Maîtresse de conférences en danse, université de Lille
  • Pascale GOETSCHEL, Professeure d’histoire contemporaine, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’histoire sociale des mondes contemporains – UMR 8058.
  • Fabrice GRENARD, Directeur scientifique de la Fondation de la Résistance.
  • Sophie JACOTOT, Danseuse et historienne de la danse (chercheuse associée au CHS).
  • Jean-Paul LE MAGUET , Conservateur honoraire du patrimoine  
  • Édith MAROIS, Docteure ès lettres, chercheuse associée à l’UR 6297 « Interactions culturelles et discursives », université de Tours.
  • Pascal ORY, Professeur émérite d’histoire contemporaine , Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’histoire sociale des mondes contemporains – UMR 8058.
  • Alain QUILLÉVÉRÉ, Professeur des écoles retraité, chercheur associé au CHS des mondes contemporains.

Comptes rendus des journées d’étude


Expositions


Contact

Pour contacter le groupe de recherche sur les bals clandestins pendant la Seconde Guerre mondiale : danses3945@gmail.com