Écrire et transmettre l’histoire des sociétés populaires

Colloque

Écrire et transmettre l’histoire des sociétés populaires

les 4 et 5 novembre 2024 à Fondation SingerPolignac, 43 avenue Georges Mandel, Paris 16.

Inscription obligatoire et programme complet sur le site de la Fondation Singer-Polignac.

La publication en 2016 du volume de Michelle Zancarini-Fournel, Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France. De 1685 à nos jours témoigne de la position centrale qu’occupe aujourd’hui la catégorie « populaire » dans l’histoire sociale. En ce sens, ces travaux nous rappellent que, depuis l’Antiquité romaine, le mot peuple et l’adjectif qui lui est lié, populaire, sont des termes polysémiques et ambigus, désignant tantôt l’ensemble de la communauté politique (les citoyens qui votent aux comices), tantôt la plebs opposée au patriciat (donc là aussi dans un sens à la fois socio-économique et politique), tantôt enfin, à partir des Gracques, un parti politique qui défend les intérêts de la plèbe contre ceux qui, comme Cicéron, défendent la prééminence du Sénat. Cette polysémie, encore marquée au Moyen Âge, dans le terme italien popolo par exemple, et persistante jusqu’à aujourd’hui, explique sans doute pourquoi, jusqu’à récemment, la catégorie est restée peu utilisée par l’histoire sociale, en particulier chez celles et ceux travaillant sur la période contemporaine.

En effet, malgré l’intérêt porté aux groupes dominés depuis la création des Annales, l’histoire sociale et économique a longtemps délaissé cette catégorie de populaire au profit d’approches des groupes dominés d’abord centrées sur le travail ou les catégories socio-professionnelles. L’évolution de ces catégories en fonction de la période étudiée reflétait l’histoire de la production (paysans et paysannes ou encore artisans et artisanes dans les époques anciennes, ouvriers et ouvrières depuis la révolution industrielle, employés et employées de nos jours). À partir des années 1970-1980, en France comme en Angleterre, l’intérêt se porte également sur la consommation, désignée par le sociologue Christian Baudelot comme la « deuxième jambe » des classes sociales, après le travail et leur place dans le système productif (dans Travail et classes sociales : la nouvelle donne, 2010). Aujourd’hui, c’est autour de l’approche intersectionnelle que l’histoire sociale s’élabore, non sans controverses.

Le retour au premier plan de la catégorie de populaire en histoire sociale est donc un phénomène assez récent, même s’il ne suit pas le même rythme selon la période étudiée (présente dès la fin des années 1990 en histoire médiévale, avec la tenue du colloque Le petit peuple médiéval en 1999 à Montréal, publié en 2003 sous la direction de Pierre Boglioni, Robert Delort et Claude Gauvard, elle n’est encore que très peu utilisée en histoire de la Grèce antique par exemple). Il est notable que ce retour au premier plan se fait en parallèle d’un mouvement du même type en sociologie (« De la classe ouvrière aux classes populaires », Savoir/Agir, n°34, 2015). Le déclin de l’analyse des sociétés anciennes et contemporaines en termes ouvriéristes est évidemment lié à celui de l’influence marxiste sur les historiens et historiennes, et plus généralement sur les sciences sociales au cours des années 1980-1990, concomitant de l’affaiblissement des partis communistes en France comme dans le reste de l’Europe. L’affirmation de la catégorie de populaire répond toutefois à un souci de réaffirmer la pertinence de la lecture du monde social en termes de classes, plutôt qu’autour de l’individu.

L’hypothèse que voudra vérifier ce colloque est que cette réappropriation de la catégorie de populaire, au croisement de l’histoire sociale, économique et politique, s’est faite en parallèle et main dans la main avec une réflexion nouvelle sur les publics auxquels s’adressent les historiens et les historiennes et sur la manière dont ces derniers et dernières peuvent parler aux classes populaires. Cet intérêt renouvelé pour la catégorie de populaire est en effet concomitant du développement de la public history. La recherche de nouvelles formes de médiations scolaires et grand public, en dehors des canaux classiques de diffusion de la recherche, ne s’est pas traduite uniquement en termes de renouvellement des modes de transmission du savoir, mais bien des contenus eux-mêmes. La démarche d’Howard Zinn, qui, dans son Histoire populaire des États-Unis (publiée en 1980 aux États-Unis), a voulu écrire une histoire pour les classes populaires (plutôt que sur) et a, pour ce faire, renversé les perspectives traditionnelles sur l’histoire américaine, en est un témoignage fort. Il s’agira donc de se demander comment cette réflexion sur le public auquel l’histoire sociale s’adresse et sur les modes de médiation possibles a contribué à l’investissement de la catégorie de populaire, d’une part, et à son élaboration théorique, d’autre part. Il s’agira également de voir comment cette réflexion sur le public s’est aussi traduite par l’exploration de nouvelles formes de médiation comme la production de webdocumentaires, de podcasts, de balades urbaines ou encore la création de musées. Le colloque s’intéressera ainsi aux liens entre les renouvellements de l’histoire sociale autour de la notion de populaire et leurs traductions en termes de transformation des pratiques de diffusion scientifique et de développement de nouveaux publics.

Le colloque est organisé en deux journées : la première sera consacrée à l’étude de l’emploi de la catégorie de populaire en histoire sociale, de l’Antiquité à nos jours. Il s’agira notamment d’étudier les transformations de sa signification et de ses usages au cours du XXe siècle et les tensions épistémologiques qui en ont résulté. La deuxième journée portera sur le renouvellement des publics de l’histoire sociale permis par l’évolution des médiations inscrites dans les pratiques de l’histoire publique.