L’engagement sportif du mouvement ouvrier n’a pas seulement donné naissance à des institutions. Elle a nourri un certain nombre de débats (sur le sens à donner à la compétition, sur les rapports entre sport et capitalisme, sur le surentraînement et le dopage), elle a constitué le terreau des politiques sportives suivies par les municipalités de la banlieue rouge, elle a contribué aux formes d’appropriation populaire de la pratique et du spectacle sportifs, elle a enfin nourri les actions et les engagements d’un certain nombre d’acteurs, qu’ils soient éducateurs, politiques ou encore journalistes. En même temps, le déploiement de cette dynamique s’est constamment heurté à nombre d’obstacles et d’oppositions. Parmi ces barrières, certaines relèvent de contraintes extérieures : le sport « ouvrier », au sens militant du terme, s’est souvent développé dans des conditions matérielles précaires ; il a dû faire face également à de nombreux adversaires : les diverses formes de «paternalisme sportif» mises en place par le patronat, le regard suspicieux des fédérations disciplinaires dénonçant leurs concurrentes militantes au nom de « l’apolitisme sportif» et, à certains moments (par exemple dans les années 1940-1950), l’action répressive d’un État voyant derrière la moindre équipe de football, pour peu qu’elle soit encadrée par des membres du Parti communiste, un élément de subversion. Mais le sport militant s’est aussi heurté à ses propres contradictions et surtout à la séduction du « modèle bourgeois », notamment dans le domaine du spectacle. Le sport « ouvrier », politiquement parlant, n’a pas toujours été, c’est un euphémisme, le sport de tous les ouvriers. Ces derniers lui ont souvent préféré le sport «bourgeois» et se sont bien vite passionnés pour le Tour de France ou encore les compétitions organisées par la Fédération française de football. L’Union soviétique elle-même a très vite cessé de porter la volonté d’un modèle alternatif, pour se plier aux règles de la compétition et du spectacle, jusque dans ses dérives les plus frappantes (dopage, nationalisme, etc.). Ainsi, si l’ambition d’édifier un autre sport a bien été tangible, la réalisation de cette ambition, elle, a été beaucoup plus fragile et constamment remise en cause.