Les compagnons charpentiers à Paris entre 1880 et 1914

LE STUNFF Nathalie, Les compagnons charpentiers à Paris entre 1880 et 1914, Maîtrise [Michel Pigenet], Univ. Paris 1 CHS, 2001, 166 p.

Les compagnons charpentiers constituent une entité originale au sein du monde compagnonnique. À la fin du XIXème siècle, alors qu’un grand nombre de corporations organisées en compagnonnage voient leurs effectifs péricliter, les compagnons charpentiers maintiennent leur influence sur la scène de la représentation ouvrière. Ils se sont attachés à demeurer une société de secours mutuels performante et à garder leur mainmise sur le marché de l’embauche par l’intermédiaire du Rouleur. Tout en préservant leurs structures d’encadrement originelles et leurs traditions ancestrales, les compagnons ont su prendre le chemin de la modernité. Cet alliage fait leur originalité. Depuis le début du XIXème siècle, les charpentiers sont organisés en deux sociétés, celle des compagnons passants charpentiers du Devoir, communément appelés Loups et celle du Devoir de Liberté dont les membres sont appelés Indiens. Elles demeurent longtemps rivales, mais parviennent au cours de ce siècle à vivre en bonne entente et à oublier leurs divergences quant aux origines du compagnonnage et à la signification des rites. Durant la période étudiée, les effectifs de ces deux sociétés figurent parmi les plus forts du monde compagnonnique.

Si le compagnonnage s’est conservé aussi fort chez les charpentiers, il le doit au fait que les travaux de charpente exigent encore une haute connaissance du métier et un important savoir-faire. L’ouvrier charpentier, à l’heure de l’industrialisation et du bouleversement des méthodes de travail reste un ouvrier qualifié, presque un ouvrier d’art. Entre 1880 et 1914, les compagnons charpentiers renoncent à ce qui avait fait leur réputation, c’est-à-dire à la défense des intérêts de la corporation et des droits du travailleur. La survie de leurs sociétés semble désormais résider dans l’amélioration des techniques professionnelles et dans la participation aux grandes entreprises architecturales de l’époque.

Je me suis intéressée à comprendre par quels moyens les charpentiers sont parvenus à maintenir leur influence face à la présence de plus en plus importante de syndicats sur la scène de la représentation ouvrière.

Travailler sur le compagnonnage implique de se heurter à des problèmes de source. Les sociétés de compagnonnage n’ont jamais renoncé à leur caractère secret. Les archives compagnonniques sont difficilement compagnonniques, dès lors ma recherche s’est effectuée par des moyens détournés. Les rapports de police de la Préfecture de Police de Paris représentent le corpus de documents le plus important de ma recherche. Société secrète, le compagnonnage laisse néanmoins des traces dans le paysage urbain. Les compagnons associent en effet la construction de la Tour Eiffel au compagnon charpentier du Devoir de Liberté, l’indien Eugène Million.