Les cités de banlieue au cinéma (1993-1997) : l’émergence d’un nouveau genre ?

LE PAJOLEC Sébastien, Les cités de banlieue au cinéma (1993-1997) : l’émergence d’un nouveau genre ?, Maîtrise [Antoine Prost, Annie Fourcaut], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1998, 163 p.

Depuis le début des armées quatre-vingt (les rodéos des Minguettes en 1981), la figure du grand ensemble, de la cité a envahi le champ médiatique ; images et discours (de journalistes, politiciens, chercheurs) se sont multipliés, superposés. Il faut rappeler ici que depuis son développement dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle la banlieue a toujours constitué un objet privilégié de représentations, de projections des peurs fantasmées de la société (le topo au banlieusard délinquant, de l’apache au jeune d’aujourd’hui en passant par le loubard des années soixante). Notre travail part d’un double constat : le nécessaire apport de l’étude des films de fiction à l’histoire des représentations sociales d’une part, la sortie dans un temps rapproché d’une quinzaine de films français mettant au cœur de leur histoire la cité de banlieue, d’autre part. l’étude de ce corpus, composé des films sur les cités de banlieue entre 1993 et 1997, se déroule selon trois axes : la perception de la cité comme espace réel et symbolique, la représentation de la vie quotidienne dans le grand ensemble (vie familiale, relations de voisinage, vie scolaire, tensions jeunes/adultes, tensions raciales, présence policière), les significations culturelles de l’apparition de cette vague de films sur les cités de banlieue.

Au cours de notre recherche, plusieurs évolutions essentielles dans les représentations de la banlieue se sont dégagées. Tout d’abord, l’ambivalence du lien de la jeunesse des grands ensembles vis-à-vis de l’espace dans lequel elle évolue : on se situe constamment entre le désarroi, le rejet de la cité qui est alors vécue comme un handicap social, et l’appropriation identitaire d’un territoire que l’on occupe et domine au quotidien (la fameuse colonisation par les jeunes des espaces publics et collectifs du grand ensemble), ces stratégies territoriales sont la cause d’affrontements entre cités voisines, mais rivales, entre jeunes et policiers. Cette jeunesse est au cœur de la vie de la cité, elle génère l’émergence d’une véritable culture (pratiques de sociabilité, codes langagiers, musicaux, vestimentaires). Sa grande visibilité a pour contrecoup la disparition des adultes illustrée par l’éclatement de la structure familiale et la présence de stéréotypes négatifs (le policier, le raciste). On le note aussi dans l’évolution de la représentation de l’immigré : le « jeune de cité » succède ainsi dans l’imaginaire social à son père, l’ouvrier algérien de banlieue des années soixante-dix. Si les films possèdent des variantes, on retrouve à travers notre corpus un tronc commun de préoccupations (des séquences archétypiques comme celles en boîte de nuit, ou la mort d’un jeune) qui met en lumière un espace où règne la disqualification sociale (chômage des parents, des enfants), avec pour conséquence la violence (délinquance, drogue, bavures policières, émeutes). Enfin, nous avons cherché à mettre en perspective notre corpus dans le cadre à la fois d’un regain d’intérêt du cinéma français pour le fait social et de l’émergence de ce que l’on peut qualifier d’une nouvelle « culture de banlieue » dont la reconnaissance des diverses pratiques (rap, danse hip-hop, graffitis) est contemporaine du surgissement des films que nous avons étudiés.