Le mouvement des ciné-clubs en France 1945-1955

LOYER Emmanuelle, Le mouvement des ciné-clubs en France 1945-1955, Maîtrise [Claude Beylie] Univ. Paris 1 CRHMSS, 1989, 151 p.

À la Libération, le cinéma jouit d’un immense prestige. Pourtant, quelques années auparavant, il était encore considéré avec pitié par nos clercs. Du mépris à l’intégration universitaire, la mutation a été profonde qui constitue la promotion culturelle du cinéma. Cette période de transition, qui s’ancre dans la Résistance pour s’achever à la fin des années cinquante, couvre le champ d’action privilégié des ciné-clubs, leur phase « héroïque » et leur succès historique.

Parler de « succès historique » est légitime dans la mesure où se développe un réseau de ciné-clubs sur le plan national, voire international, l’ampleur de ce phénomène le distinguant radicalement du « ciné-clubisme » des années vingt. Un point de vue synoptique sur cet espace de dix ans permet de repérer les profonds bouleversements qui simultanément affectent la configuration des forces du cinéma parmi lesquelles les ciné-clubs opèrent très rapidement une insertion réussie : le ciné-club trouve sa place stratégique comme interlocuteur des deux instances qui comptent dans le monde du cinéma, l’État et la profession.

Le ciné-club est traité par l’État comme partie prenante dans la promotion d’un cinéma qu’on entend ne pas laisser aux mains de l’industrie et du commerce ; en cela, il apparaît historiquement lié à la formulation du devoir culturel du cinéma, qui instaure ou parraine de nouvelles structures telles que le CNC ou l’IDHEC. Vis-à-vis de la profession, la rivalité don quichottesque dont se glorifiaient les salles spécialisées des années vingt ne convient plus ; de l’antagonisme fondamental naît un désir de collaboration exprimé des deux côtés à défaut d’être toujours mis en pratique. Dans ce partenariat obligé, les ciné-clubs devront se forger un discours spécifique face à une profession en crise permanente durant ces années d’après-guerre.

Permettant d’embrasser nombre de questions organisationnelles qui ont leur importance — le statut juridique, le problème des taxes et de la censure — la description de la mise en place réussie des ciné-clubs rend compte de la cohérence de ce phénomène, de l’articulation qui le relie aux autres instances engagées.

Le fait que régulièrement, des gens se réunissent pour voir un film et en discuter est en soi suffisamment original pour qu’apparaisse une spécificité de la pratique ciné-club. Pourtant, celle-ci s’offre d’autant plus volontiers à une investigation historique qu’elle est investie d’enjeux qui dépassent le simple cadre cinématographique : le ciné-club se dévoile comme expérience sociale de démocratie culturelle ; il est manifeste que l’utopie du populisme culturel à l’œuvre dans l’action ciné-club, correspond à l’idéologie consensuelle qui marque les toutes premières années de l’après-guerre. Mais les clubs s’affirment également comme cadres d’expériences pédagogiques qui se veulent novatrices par rapport à l’enseignement scolaire. Ces diverses réalités du ciné-club en font un lieu de pratique du cinéma tout à fait particulier, à la fois soutien d’une culture cinématographique axée sur la connaissance des grandes œuvres, et porteur d’ambitions pour la production qui leur est contemporaine, visant à faire du cinéma le véritable « langage de (son) temps ».